Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/84

Cette page n’a pas encore été corrigée

74 AVERTISSEMENT.

cl qu’il y avait une certaine imprudence à demander au public de se déjuger aussi vite, tandis que Y Electre datait de près d’un demi -siècle.

La représentation eut lieu le 12 janvier. Voltaire avait fait imprimer sur les billets de parterre les lettres initiales de ce vers d’Horace :

Omne tulit punclnm qui miscuit utile dulci.

« C’était sans doute, dit Collé, qui a inséré dans ses Mémoires le modèle de ces billets, c’était, sans doute, un petit coup de patte qu’il voulait donner à Crébillon sur sa versification qui, effectivement, n’est pas aussi correcte et aussi douce (jue la sienne, mais qui est plus mâle. Après la chute de la pièce, un plaisant du parterre trouva que ces lettres initiales voulaient dire : Oreste, trai^^edie pitoyable que monsieur Voltaire donne. »

Ore^sle fut, en effet, assez mal accueilli. La deuxième représentation dut être différée pour que l’auteur pût faire les corrections qui paraissaient nécessaires. Voltaire se mit à l’œuvre avec son ardeur ordinaire, ce qui faisait dire h Fontenelle : « M. de Voltaire est un homme bien singulier^ il compose ses pièces pendant leur représentation. »

Il supprima un couplet de M"" Gaussin (Iphise), qui avait semblé cho- (juant ; il refit tout le cinquième acte.

11 écrit il M"’" Clairon (Electre) plusieurs lettres qu’on trouvera dans la correspondance, pour lui donner dos conseils sur son jeu. Il se plaint vivement à la duchesse du Maine, qui s’est dispensée d’assister à la première représentation. Il la supplie de paraître à la deuxième, le lundi 19 janvier. La deuxième représentation eut lieu, et le résultat en fut plus favorable. Jamais Voltaire ne déploya plus d’énergie, plus de passion pour faire réussir une de ses œuvres. Il dirigeait, dit-on, lui-même ses partisans, il animait le parterre, criant : « Battons des mains, mes chers amis ; applaudissons, mes chers Athéniens ! » Tantôt, dans le foyer, il jurait que c’était la tragédie de Sophocle et non la sienne à laquelle on refusait de justes louanges ; tantôt, dans l’amphithéâtre et plongeant sur le parterre, il s’écriait : « Ah î les barbares, ils ne sentent pas la beauté de ceci ! »

C’est (lollé, l’auteur de la Partie de chasse de Henri IV, qui nous le montre se démenant de la sorte, et Collé, il est vrai, est un adversaire décidé. II ajoute que l’auteur d’Oreste renouvela ces efforts à toutes les représentations : « Enfin, un jour, dit-il, il a poussé la chose jusqu’à insulter un nommé Rousseau parce qu’il avait les mains dans son manchon, et qu’il n’applaudissait pas. Ce dernier lui répondit assez ferme, mais sagement, et point aussi vertement qu’il aurait pu. »

L’anecdote s’est trouvée confirmée d’autre part. « L’on ne raconte pas, dit M. G. Desnoiresterres*, comment s’engagea la dispute, mais avec Voltaire les choses allaient bon train. « Qui êtes-vous ? criait le poëte hors ’f de lui. — Rousseau, répondait la partie adverse. — Rousseau ; quel Rous-

1. Voltaire à la cour, p. 359.