Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tracasserie, s’est mis à tuer[1] mon fils Ammon : je me suis fâché contre mon fils Absalon ; il s’est révolté contre moi, m’a chassé de ma ville de Hérus-Chalaïm, et me voilà sur le pavé.

BETHSABÉE.

Oh : ce sont des choses sérieuses cela.

ABIGAÏL.

La vilaine famille que la famille de David ! Tu n’as donc plus rien, brigand ? Ton fils est oint à ta place.

DAVID.

Hélas ! oui ; et, pour preuve qu’il est oint, il a couché[2] sur la terrasse du fort avec toutes mes femmes l'une après l’autre.

ABIGAÏL.

Ô ciel ! que n’étais-je là ! j’aurais bien mieux aimé coucher avec ton fils Absalon qu’avec toi, vilain voleur, que j’abandonne à jamais : il a des cheveux qui lui vont jusqu’à la ceinture, et dont il vend des rognures pour deux cents écus par an, au moins : il est jeune, il est aimable, et tu n’es qu’un barbare débauché, qui te moques de Dieu, des hommes, et des femmes : va, je renonce désormais à toi, et je me donne à ton fils Absalon, ou au premier Philistin que je rencontrerai. (À Bethsabée, en lui faisant la révérence.) Adieu, madame.

BETHSABÉE.

Votre servante, madame.


Scène III.

DAVID, BETHSABÉE.
DAVID.

Voilà donc cette Abigaïl que j’avais crue si douce ! Ah ! qui compte sur une femme compte sur le vent ; et vous, ma chère Bethsabée, m’abandonnerez-vous aussi ?

BETHSABÉE.

Hélas ! c’est ainsi que finissent tous les mariages de cette espèce : que voulez-vous que je devienne si votre fils Absalon règne ? Et si Urie, mon mari, sait que vous avez voulu l’assassiner, vous voilà perdu, et moi aussi.

  1. Rois, II, chap. xiii, versets 28, 29.
  2. Rois, II, chap. xvi, verset 22.