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LE COMTE

Tranquillement ?

LA MARQUISE

Hem ! De qui parlez-vous ?


GERMON

Nanine, hélas ! Madame, que l'on chasse :
Tout le château pleure de sa disgrâce.

LA MARQUISE

Vous la chassez ? Je n'entends point cela.
Quoi ! Ma Nanine ? Allons, rappelez-la.
Qu'a-t-elle fait, ma charmante orpheline ?
C'est moi, mon fils, qui vous donnai Nanine.
Je me souviens qu'à l'âge de dix ans
Elle enchantait tout le monde céans.
Notre baronne ici la prit pour elle ;
Et je prédis dès lors que cette belle
Serait fort mal ; et j'ai très bien prédit.
Mais j'eus toujours chez vous peu de crédit :
Vous prétendez tout faire à votre tête.
Chasser Nanine est un trait malhonnête.

LE COMTE

Quoi ! Seule, à pied, sans secours, sans argent ?


GERMON

Ah ! J'oubliais de dire qu'à l'instant
Un vieux bonhomme à vos gens se présente :
Il dit que c'est une affaire importante,
Qu'il ne saurait communiquer qu'à vous ;
Il veut, dit-il, se mettre à vos genoux.


LE COMTE

Dans le chagrin où mon coeur s'abandonne,
Suis-je en état de parler à personne ?

LA MARQUISE

Ah ! Vous avez du chagrin, je le crois ;
Vous m'en donnez aussi beaucoup à moi.
Chasser Nanine, et faire un mariage
Qui me déplaît ! Non, vous n'êtes pas sage.
Allez ; trois mois ne seront pas passés
Que vous serez l'un de l'autre lassés.
Je vous prédis la pareille aventure
Qu'à mon cousin le marquis de Marmure.
Sa femme était aigre comme verjus ;
Mais, entre nous, la vôtre l'est bien plus.