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BETHSABÉE.

Milord, pour des tables, vous savez qu’il n’y en a point ici ; mais voici mes tablettes avec un poinçon, vous pouvez écrire sur mes genoux.

DAVID.

Allons, écrivons : « Appui de ma couronne, comme moi serviteur de Dieu, notre féal Urie vous rendra cette missive : marchez avec lui, sitôt cette présente reçue, contre le corps des Philistins qui est au bout de la vallée d’Hébron ; placez le féal Urie au premier rang[1], abandonnez-le dès qu’on aura tiré la première flèche, de façon qu’il soit tué par les ennemis ; et s’il n’est pas frappé par devant, ayez soin de le faire assassiner par derrière ; le tout pour le besoin de l’État : Dieu vous ait en sa sainte garde ! Votre bon roi David. »

BETHSABÉE.

Eh ! bon Dieu ! vous voulez faire tuer mon pauvre mari ?

DAVID.

Ma chère enfant, ce sont de ces petites sévérités auxquelles on est quelquefois obligé de se prêter ; c’est un petit mal pour un grand bien, uniquement dans intention d’éviter le scandale.

BETHSABÉE.

Hélas ! votre servante n’a rien à répliquer ; soit fait selon votre parole.

DAVID.

Qu’on m’appelle le bonhomme Urie.

BETHSABÉE.

Hélas ! que voulez -vous lui dire ? Pourrai-je soutenir sa présence ?

DAVID.

Ne vous troublez pas. (À Urie, qui entre.) Tenez, mon cher Urie, portez cette lettre à mon capitaine Joab, et méritez toujours les bonnes grâces de l’oint du Seigneur.

URIE.

J’obéis avec joie à ses commandements : mes pieds, mon bras, ma vie, sont à son service : je voudrais mourir pour lui prouver mon zèle.

DAVID, en l’embrassant.

Vous serez exaucé, mon cher Urie.

URIE.

Adieu, ma chère Bethsabée ; soyez toujours aussi attachée que moi à notre maître.

  1. Rois, II, chap. xi, verset 15.