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Scène VI.

MICHOL, ABIGAÏL, SAÜL, BAZA, capitaines.
MICHOL.

Mon père, faudra-t-il trembler tous les jours pour votre vie, pour celle de mes frères, et essuyer les infidélités de mon mari ?

SAUL.

Votre frère et votre mari sont des rebelles : comment ! manger du miel un jour de bataille ! Il est bien heureux que l’armée ait pris son parti ; mais votre mari est cent fois plus méchant que lui ; je jure que je le traiterai comme Samuel a traité Agag.

ABIGAÏL, à Michol.

Ah ! madame, comme il roule les yeux, comme il grince les dents ! fuyons au plus vite ; votre père est fou, ou je me trompe.

MICHOL.

Il est quelquefois possédé du diable[1].

SAÜL.

Ma fille, qui est cette drôlesse-là ?

MICHOL.

C’est une des femmes de votre gendre David, que vous avez autrefois tant aimé.

SAÜL.

Elle est assez jolie : je la prendrai pour moi, au sortir de la bataille.

ABIGAÏL.

Ah ! le méchant homme ! On voit bien qu’il est réprouvé.

MICHOL.

Mon père, je vois que votre mal vous prend ; si David était ici, il vous jouerait de la harpe[2] ; car vous savez que la harpe est un spécifique contre les vapeurs hypocondriaques.

SAÜL.

Taisez-vous, vous êtes une sotte ; je sais mieux que vous ce que j’ai à faire.

ABIGAÏL.

Ah ! madame, comme il est méchant ! Il est plus fou que jamais ; retirons-nous au plus vite.

  1. Rois, I chap. VI, verset 25.
  2. Rois. I, chap. XVI, verset 23 ; xviii, 10.