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ACTE y, SCÈNE III.

Je les termine enfin : ïancrède va paraître. Ne puis-je consoler tes esprits affligés ?

AMÉNAÏDE.

Je me consolerai, quand je verrai Tancrède, Quand ce fatal objet de l’horreur qui m’obsède Aura plus de justice, et sera sans danger, Quand j’apprendrai de vous qu’il vit sans m’outrager. Et lorsque ses remords expieront mes injures,

ARGIRE.

Je ressens ton état, sans doute il doit t’aigrir. On n’essuya jamais des épreuves plus dures. Je sais ce qu’il en coûte, et qu’il est des blessures Dont un cœur généreux peut rarement guérir : La cicatrice en reste, il est vrai ; mais, ma fille, Nous avons vu Tancrède en ces lieux abhorré ; Apprends qu’il est chéri, glorieux, honoré : Sur toi-même il répand tout l’éclat dont il brille. Après ce qu’il a fait, il veut nous faire voir. Par l’excès de sa gloire et de tant de services. L’excès où ses rivaux portaient leurs injustices. Le vulgaire est content, s’il remplit son devoir : 11 faut plus au héros, il faut que sa vaillance —Aille au delà du terme et de notre espérance : C’est ce que fait Tancrède ; il passe notre espoir. Il te verra constante, il te sera fidèle. Le peuple en ta faA^eur s’élève et s’attendrit : Tancrède va sortir de son erreur cruelle ; Pour éclairer ses yeux, pour calmer son esprit, Il ne faudra qu’un mot,

AMÉNAÏDE,

Et ce mot n’est pas dit. Que m’importe à présent ce peuple et son outrage, Et sa faveur crédule, et sa pitié volage. Et la publique voix que je n’entendrai pas ? D’un seul mortel, d’un seul dépend ma renommée. Sachez que votre fille aime mieux le trépas Que de vivre un moment sans en être estimée. Sachez (il faut enfin m’en vanter devant vous) Que dans mon bienfaiteur j’adorais mon époux. Ma mère au lit de mort a reçu nos promesses ; Sa dernière prière a béni nos tendresses : Elle joignit nos mains, qui fermèrent ses yeux.