ACTE ÏV, SCÈNE VI. ’J49
Tenons aveuglément le glaive et la balance, •Combien nos jugements sont injustes et vains, ^ Et combien nous égare une fausse prudence ! j •Que nous étions ingrats ! que nous étions tyrans !
AMÉNAÏDE. Je puis me plaindre à vous, je le sais… mais, mon père, Votre vertu se fait des reproches si grands ■Que mon cœur désolé tremble de vous en faire ; Je les dois à Tancrède.
ARGIRE.
A lui par qui je vis, À qui je dois tes jours ?
AMÉNAÏDE.
Ils sont trop avilis, gis sont trop malheureux. C’est en vous que j’espère ; Réparez tant d’horreurs et tant de cruauté ; Ah ! rendez-moi l’honneur que vous m’avez ôté. Le vainqueur d’Orbassan n’a sauvé que ma vie ; Venez, que votre voix parle et me justifie.
ARGIRE.
Sans doute, je le dois.
AMÉNAÏDE.
Je vole sur vos pas.
ARGIRE.
Demeure.
AMÉNAÏDE.
Moi rester ! je vous suis aux combats. •J’ai vu la mort de près, et je l’ai vue horrible ; •Croyez qu’aux champs d’honneur elle est bien moins terrible
Qu’à l’indigne échafaud où vous me conduisiez.
Seigneur, il n’est plus temps que vous me refusiez : •J’ai quelques droits sur vous ; mon malheur me les donne.
Faudra-t-il que deux fois mon père m’abandonne ?
ARGIRE.
Ma fille, je n’ai plus d’autorité sur toi ;
J’en avais abusé, je dois l’avoir perdue.
^lais quel est ce dessein qui me glace d’effroi ?
Crains les égarements de ton âme éperdue.
Ce n’est point on ces lieux, comme en d’autres climats, Où le sexe, élevé loin d’une triste gène, Marche avec les héros, et s’en distingue à peine ; £t nos mœurs et nos lois ne le permettent pas.