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ACTE IV, SCÈNE II. 543

TANCRÈDE.

Non sans doute, Aldamon, je ne la verrai pas.

ALDAMON.

Eli quoi 1 pour la servir vous cherchiez le trépas. Et vous fuyez loin d’elle ?

TANCRÎiDE.

Et son cœur le mérite.

ALDAMON.

Je vois trop à quel point son crime vous irrite ; Mais pour ce crime, enfin, vous avez combattu.

TANCRÈDE.

Oui, j’ai tout fait pour elle, il est vrai, je l’ai dû.

Je n*ai pu, cher ami, malgré sa perfidie.

Supporter ni sa mort ni son ignominie ;

Et, l’eussé-je aimé moins’, comment l’abandonner ?

J’ai dû sauver ses jours, et non lui pardonner.

Qu’elle vive, il suffit, et que Tancrède expire.

Elle regrettera l’amant qu’elle a trahi.

Le cœur qu’elle a perdu, ce cœur qu’elle déchire…

A quel excès, ô ciel ! je lui fus asservi !

Pouvais-je craindre, hélas ! de la trouver paijure ?

Je pensais adorer la vertu la plus pure ;

Je croyais les serments, les autels, moins sacrés

Qu’une simple promesse, un mot d’Aménaïde…

ALDAMON.

Tout est-il en ces lieux ou barbare ou perfide ?

À la proscription vos jours furent livrés ;

La loi vous persécute, et l’amour vous outrage.

Eh bien ! s’il est ainsi, fuyons de ce rivage :

Je vous suis au combat ; je vous suis pour jamais.

Loin de ces murs affreux, trop souillés de forfaits.

TANCRÈDE.

Quel charme, dans son crime, à mes esprits rappelle

L’image des vertus que je crus voir en elle !

Toi, qui me fais descendre avec tant de tourment

Dans l’horreur du tombeau dont je t’ai délivrée,

Odieuse coupable… et peut-être adorée !

Toi, qui fais mon destin jusqu’au dernier moment :

Ah ! s’il était possible, ah ! si tu pouvais être

i. La grammaire exigeait aimée ; mais Voltaire excuse l’emploi du participa absolu en poésie ; voyez son commentaire sur Cinna (acte T’, scène lu]. (D.)