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AVERTISSEMENT. 491

reau ne doivent pas déshonorer la scène à Paris. M"* Clairon n’a certainement pas besoin de cet indigne secours pour toucher et attendrir tous lescœurs. »

Diderot le soutient dans son refus. « On dit que M""^ Clairon demande un échafaud dans la décoration ; ne le souffrez pas, morbleu ! C’est peut-être une belle chose en soi ; mais si le génie élève jamais une potence sur la scène, bientôt les imitateurs y accrocheront le pendu en personne. »

La partie faible de la nouvelle tragédie était le style ; l’essai des rimes^ croisées ne parut pas heureux. « Cette forme de versification, dit Laharpe, se prête beaucoup trop aisément à la longueur des phrases, k une marche lente et traînante. C’est une dangereuse facilité que celle de trouver la rime au bout de quatre grands vers : aussi tombe-t-il très-souvent dans le prosaïsme et dans la langueur. »

Tancrède, dans sa nouveauté, eut treize représentations.

Cette tragédie eut dans notre siècle une fortune qu’il faut signaler ici. Le rôle d’Aménaïde fut choisi par le Théâtre-Français pour le quatrième rôle de M"- Rachel, et Tancrède fut annoncé solennellement le 9 août 1838. « M"" Rachel, jeune et vaillante, dit J. Janin, avait étudié d’un grand zèle et d’une immense ardeur le rôle d’Aménaïde : elle en avait bien compris tout le mélange, un mélange ingénieux de dignité, de résolution, de prudence, de courage et d’orgueil mêlé d’amour. À peine Aménaïde obéit à un moment de faiblesse, et aussi vite elle se relève, et tout de suite après la voilà qui s’indigne et qui ne comprend pas que Tancrède ait soupçonné Amé- naïde. Absolument il faut que Tancrède expire en implorant son pardon pour que la fière Aménaïde oublie enfin son injure. Ainsi ce beau rôle est encore empreint de l’énergie et de la volonté des anciennes tragédiennes, des femmes à la Clairon ; de grandes et hardies créatures, naturellement insolentes et dédaigneuses, reines chez elles et reines au théâtre, reines partout, et toujours flattées, au théâtre, hors du théâtre ; entourées, fêtées, honorées, célébrées, adorées ; despotes féminins qui ne respectaient rien, pas même le parterre : telles étaient les tragédiennes de Voltaire, accomplies en toutes sortes de vices et de vertus, qui nous paraîtraient également insupportables aujourd’hui… »

Une artiste que les cabales voulurent un moment opposer à M"« Rachel, M^^ Maxime, joua également le rôle d’Aménaïde.