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490 AVERTISSEMENT.

cette simple phrase que le héros de la tragédie s’appelle Tancrède et que l’action se passe à Syracuse. Du reste, toute la trame est de l’invention de Voltaire, et il n’a emprunté à ses devanciers que le fond du sujet.

A’oltairo avait, comme toujours, fait rapidement l’ébauche de sa pièce, du 22 avril au 28 mai 1739 ; si l’on en croit Laharpe, ce n’était pas la première fois qu’il s’attaquait à ce sujet. «.le tiens de Voltaire lui-même, dit-il, que, dans l’espace de trois ans, il renonça et revint trois fois à Tancrède, et ne l’exécuta (}u’après l’avoir cru longtemps impraticable. « La première esquisse achevée, envoyée àd’Argental, elle fut retouchée et remaniée pendant une année. Le V septembre 1760, il demandait grâce à iM"^ Scaliger (.> ! "•<= d’Argental), qui sollicitait encore des corrections. Le 3 septembre, la première représentation eut lieu, et les remaniements continuèrent ; la correspondance des derniers mois de l’année est toute remplie de vers nouveaux à-substituer aux vers anciens.

Le succès fut éclatant. M"" d’Épinay écrit à M"* de Valori, à la date du 10 septembre 1760 : « J’ai pourtant trouvé le secret, au milieu de tous nos maux, de voir Tancrède et d’y fondre en larmes ; on y meurt, la princesse y meurt aussi, mais de sa belle mort. C’est une nouveauté touchante, qui vous entraîne de douleur et d’applaudissements. M"* Clairon y fait des merveilles ; il y a un certain : Eh bien, mon père !… Ah ! ma Jeanne, ne me dites jamais en bien de ce ton-là, si vous ne voulez pas que je meure. Au reste, si vous avez un amant, défaites-vous-en dès demain s’il n’est pas paladin ; il n’y a que ces gens-là pour faire honneur aux femmes ; ôtesvous vertueuse, ils l’apprennent à l’univers ; ne l’ètes-vous pas, ils égorgeraient mille hommes plutôt que d’en convenir, et ils ne boivent ni ne mangent qu’ils n’aient prouvé que vous l’êtes. Rien n’est comparables Lekain, pas même lui. Enfin, ma Jeanne, tout cela est si plein de beautés qu’on ne sait auquel entendre. Il y avait l’autre jour un étranger dans le parterre, qui pleurait, criait, battait des mains… D’Argental, enchanté, lui dit : « Eh « bien, monsieur, ce Voltaire est un grand homme, n’est-ce pas ? Comment « trouvez-vous cela ? — Monsieur, ça est fort propre, fort propre assurément. «  Vous voyez d’ici la mine que l’on fait à cette réponse, et si l’on peut vivre sans voir une pièce qui fait dire de si belles choses. »

Voltaire était enchanté, et, n’oubliant jamais ses ennemis même dans sa joie, il écrivait à tout le monde : « On dit que Satan était dans l’amphithéâ- tre sous la figure de Fréron, et qu’une larme d’une dame étant tombée sur le nez du malheureux, il fit psh, psh. comme si c’avait été de l’eau bénite. »

M"« Clairon avait demandé sérieusement à Voltaire, pour le troisième acte, un échafaud, un bourreau, et tout l’appareil du supplice. « On venait d’essayer, dit Geoflroy, sur le même théâtre^ une chambre tendue de noir oîi se trouve une fille seule avec le cadavre de son amant, qu’elle contemple à la lueur d’une lampe sépulcrale ; M"’ Clairon, avec son échafaud, avait la noble ambition de l’emporter sur la tenture noire et sur le cadavre. » Voltaire sentit l’abus et le ridicule d’un pareil spectacle ; il écrivit à Lekain : « Je me flatte que vous n’êtes pas de l’avis de M"« Clairon, qui demande un échafaud ; cela n’est bon qu’à la Grève… La potence et les valets de bour-