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suis fait une loi (et ce doit être celle de tout bon chrétien) de donner toujours le dixième de ce que je gagne ; c’est une dette que ma fortune doit payer à l’état malheureux où vous êtes… oui, où vous êtes, et dont vous ne voulez pas convenir. Voilà ma dette de cinq cents guinées payée. Point de remerciement, point de reconnaissance ; gardez l’argent et le secret.

(Il jette une grosse bourse sur la table.)
POLLY.

Ma foi, ceci est bien plus original encore.

LINDANE, se levant et se détournant.

Je n’ai jamais été si confondue. Hélas ! que tout ce qui m’arrive m’humilie ! quelle générosité ! mais quel outrage !

FREEPORT, continuant à lire les gazettes, et à prendre son chocolat.

L’impertinent gazetier ! le plat animal ! peut-on dire de telles pauvretés avec un ton si emphatique ? Le roi est venu en haute personne. Eh, malotru ! qu’importe que sa personne soit haute ou petite ? Dis le fait tout rondement.

LINDANE, s’approchant de lui.

Monsieur…

FREEPORT.

Eh bien ?

LINDANE.

Ce que vous faites pour moi me surprend plus encore que ce que vous dites ; mais je n’accepterai certainement point l’argent que vous m’offrez : il faut vous avouer que je ne me crois pas en état de vous le rendre.

FREEPORT.

Qui vous parle de le rendre ?

LINDANE.

Je ressens jusqu’au fond du cœur toute la vertu de votre procédé, mais la mienne ne peut en profiter : recevez mon admiration ; c’est tout ce que je puis.

POLLY.

Vous êtes cent fois plus singulière que lui. Eh ! madame, dans l’état où vous êtes, abandonnée de tout le monde, avez-vous perdu l’esprit de refuser un secours que le ciel vous envoie par la main du plus bizarre et du plus galant homme du monde ?

FREEPORT.

Et que veux-tu dire, toi ? en quoi suis-je bizarre ?

POLLY.

Si vous ne prenez pas pour vous, madame, prenez pour moi ; je vous sers dans votre malheur, il faut que je profite au