Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome5.djvu/440

Cette page a été validée par deux contributeurs.
POLLY.

Hélas ! ma chère maîtresse, on s’en aperçoit assez en me voyant : pour vous, ce n’est pas de même ; la grandeur d’âme vous soutient : il semble que vous vous plaisiez à combattre la mauvaise fortune ; vous n’en êtes que plus belle ; mais moi, je maigris à vue d’œil : depuis un an que vous m’avez prise à votre service en Écosse, je ne me reconnais plus.

LINDANE.

Il ne faut perdre ni le courage ni l’espérance : je supporte ma pauvreté, mais la tienne me déchire le cœur. Ma chère Polly, qu’au moins le travail de mes mains serve à rendre ta destinée moins affreuse : n’ayons d’obligation à personne ; va vendre ce que j’ai brodé ces jours-ci. (Elle donne un petit ouvrage de broderie.) Je ne réussis pas mal à ces petits ouvrages. Que mes mains te nourrissent et t’habillent : tu m’as aidée ; il est beau de ne devoir notre subsistance qu’à notre vertu.

POLLY.

Laissez-moi baiser, laissez-moi arroser de mes larmes ces belles mains qui ont fait ce travail précieux. Oui, madame, j’aimerais mieux mourir auprès de vous dans l’indigence, que de servir des reines. Que ne puis-je vous consoler !

LINDANE.

Hélas ! milord Murray n’est point venu ! lui, que je devrais haïr ! lui, le fils de celui qui a fait tous nos malheurs ! Ah ! le nom de Murray nous sera toujours funeste : s’il vient, comme il viendra sans doute, qu’il ignore absolument ma patrie, mon état, mon infortune.

POLLY.

Savez-vous bien que ce méchant Frélon se vante d’en avoir quelque connaissance ?

LINDANE.

Eh ! comment pourrait-il en être instruit, puisque tu l’es à peine ? Il ne sait rien ; personne ne m’écrit ; je suis dans ma chambre comme dans mon tombeau : mais il feint de savoir quelque chose, pour se rendre nécessaire. Garde-toi qu’il devine jamais seulement le lieu de ma naissance. Chère Polly, tu le sais, je suis une infortunée dont le père fut proscrit dans les derniers troubles, dont la famille est détruite ; il ne me reste que mon courage. Mon père est errant de désert en désert, en Écosse. Je serais déjà partie de Londres pour m’unir à sa mauvaise fortune, si je n’avais pas quelque espérance en milord Falbrige. J’ai su qu’il avait été le meilleur ami de mon père. Personne n’aban-