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AVERTISSEMENT[1]



Cette lettre de M. Jérôme Carré eut tout l’effet qu’elle méritait. La pièce fut représentée au commencement d’août 1760[2]. On commença tard ; et quelqu’un demandant pourquoi on attendait si longtemps : C’est apparemment, répondit tout haut un homme d’esprit[3], que Fréron est monté à l’hôtel de ville[4]. Comme ce Fréron avait eu l’inadvertance de se reconnaître dans la comédie de l’Écossaise, quoique M. Hume ne l’eût jamais eu en vue, le public le reconnut aussi. La comédie était sue de tout le monde par cœur avant qu’on la jouât, et cependant elle fut reçue avec un succès prodigieux. Fréron fit encore la faute d’imprimer dans je ne sais quelles feuilles, intitulées l’Année littéraire, que l’Écossaise n’avait réussi qu’à l’aide d’une cabale composée de douze à quinze cents personnes[5] qui toutes, disait-il, le haïssaient et le méprisaient souverainement. Mais M. Jérôme Carré était bien loin de faire des cabales ; tout Paris sait assez qu’il n’est pas à portée d’en faire : d’ailleurs il n’avait jamais vu ce Fréron, et il ne pouvait comprendre pourquoi tous les spectateurs s’obstinaient à voir Fréron dans Frélon. Un avocat, à la seconde représentation, s’écria : Courage, monsieur Carré ; vengez le public ! Le parterre et les loges applaudirent à ces paroles par des battements de mains qui ne finissaient point. Carré, au sortir du spectacle, fut embrassé par plus de cent

  1. Cet Avertissement, dont Voltaire est l’auteur, est de 1761. (B.).
  2. La première représentation est du 26 juillet : voyez la note 3, page 403 (B.)
  3. D’Alembert : voyez sa lettre du 3 auguste 1760. (B.)
  4. Les condamnés, avant leur exécution, étaient conduits à l’hôtel de ville, où on leur demandait s’ils n’avaient pas de révélations à faire. (G. D.)
  5. Fréron, Année littéraire, 1760, tome V, page 210 et suiv., sans donner le nombre des cabaleurs, désigne comme leurs chefs Sedaine, Diderot, Grimm, et Lamorlière, ayant sous leurs ordres les typographes et les libraires de l’Encyclopédie, leurs garçons de boutique, des clercs de procureurs, des écrivains sous les charniers, des apprentis chirurgiens et perruquiers ; il compose le corps de réserve de laquais et de savoyards. (B.)