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Ce qui nous a frappé vivement dans cette pièce, c’est que l’unité de temps, de lieu, et d’action, y est observée scrupuleusement. Elle a encore ce mérite, rare chez les Anglais comme chez les Italiens, que le théâtre n’est jamais vide. Rien n’est plus commun et plus choquant que de voir deux acteurs sortir de la scène, et deux autres venir à leur place sans être appelés, sans être attendus ; ce défaut insupportable ne se trouve point dans l’Écossaise.

Quant au genre de la pièce, il est dans le haut comique, mêlé au genre de la simple comédie. L’honnête homme y sourit de ce sourire de l’âme, préférable au rire de la bouche. Il y a des endroits attendrissants jusqu’aux larmes, mais sans pourtant qu’aucun personnage s’étudie à être pathétique ; car de même que la bonne plaisanterie consiste à ne vouloir point être plaisant, ainsi celui qui vous émeut ne songe point à vous émouvoir : il n’est point rhétoricien, tout part du cœur. Malheur à celui qui tâche, dans quelque genre que ce puisse être !

Nous ne savons pas si cette pièce pourrait être représentée à Paris ; notre état et notre vie, qui ne nous ont pas permis de fréquenter souvent les spectacles, nous laissent dans l’impuissance de juger quel effet une pièce anglaise ferait en France.

Tout ce que nous pouvons dire, c’est que, malgré tous les efforts que nous avons faits pour rendre exactement l’original, nous sommes très-loin d’avoir atteint au mérite de ses expressions, toujours fortes et toujours naturelles.

Ce qui est beaucoup plus important, c’est que cette comédie est d’une excellente morale, et digne de la gravité du sacerdoce dont l’auteur est revêtu, sans rien perdre de ce qui peut plaire aux honnêtes gens du monde.

La comédie ainsi traitée est un des plus utiles efforts de l’esprit humain ; il faut convenir que c’est un art, et un art très-difficile. Tout le monde peut compiler des faits et des raisonnements : il est aisé d’apprendre la trigonométrie ; mais tout art demande un talent, et le talent est rare.

Nous ne pouvons mieux finir cette préface que par ce passage de notre compatriote Montaigne sur les spectacles.

« I’ai soustenu les premiers personnages ez tragedies latines de Bucanan, de Guerente, et de Muret, qui se représentèrent à nostre collège de Guienne, avecques dignité. En cela, Andréas Goveanus, nostre principal, comme en toutes aultres parties de sa charge, feut sans comparaison le plus grand principal de France : et m’en tenoit on maistre ouvrier. C’est un exercice que ie ne mesloue