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AGLAÉ.

Lui ! Il est l’ennemi de notre bienfaiteur Socrate ? Je ne m’étonne plus de l’aversion qu’il m’inspirait avant même qu’il m’eût parlé.

SOPHRONIME.

Hélas ! Serait-ce à lui que je dois imputer les pleurs qui obscurcissent vos yeux ?

AGLAÉ.

Il ne peut m’inspirer que des dégoûts. Non, Sophronime, il n’y a que vous qui puissiez faire couler mes larmes.

SOPHRONIME.

Moi, grands dieux ! Moi qui voudrais les payer de mon sang ! Moi, qui vous adore, qui me flatte d’être aimé de vous, qui ne vis que pour vous, qui voudrais mourir pour vous ! Moi, j’aurais à me reprocher d’avoir jeté un moment d’amertume sur votre vie ! Vous pleurez, et j’en suis la cause ! qu’ai-je donc fait ? Quel crime ai-je commis ?

AGLAÉ.

Vous n’en pouvez commettre. Je pleure, parce que vous méritez toute ma tendresse, parce que vous l’avez, et qu’il me faut renoncer à vous.

SOPHRONIME.

Quels mots funestes avez-vous prononcés ! Non, je ne puis le croire ; vous m’aimez, vous ne pouvez changer. Vous m’avez promis d’être à moi, vous ne voulez point ma mort.

AGLAÉ.

Je veux que vous viviez heureux, Sophronime, et je ne puis vous rendre heureux. J’espérais, mais ma fortune m’a trompée : je jure que, ne pouvant être à vous, je ne serai à personne. Je l’ai déclaré à cet Anitus qui me recherche, et que je méprise ; je vous le déclare, le cœur pénétré de la plus vive douleur, et de l’amour le plus tendre.

SOPHRONIME.

Puisque vous m’aimez, je dois vivre ; mais si vous me refusez votre main, je dois mourir. Chère Aglaé, au nom de tant d’amour, au nom de vos charmes et de vos vertus, expliquez-moi ce mystère funeste.