Hélas ! Pourquoi ?
Jeune et belle Nanine,
La jalousie en tous les coeurs domine :
L'homme est jaloux dès qu'il peut s'enflammer ;
La femme l'est, même avant que d'aimer.
Un jeune objet, beau, doux, discret, sincère,
À tout son sexe est bien sûr de déplaire.
L'homme est plus juste ; et d'un sexe jaloux
Nous nous vengeons autant qu'il est en nous.
Croyez surtout que je vous rends justice.
J'aime ce coeur qui n'a point d'artifice ;
J'admire encore à quel point vous avez
Développé vos talents cultivés.
De votre esprit la naïve justesse
Me rend surpris autant qu'il m'intéresse.
J'en ai bien peu ; mais quoi ! Je vous ai vu,
Et je vous ai tous les jours entendu :
Vous avez trop relevé ma naissance ;
Je vous dois trop ; c'est par vous que je pense.
Ah ! Croyez-moi, l'esprit ne s'apprend pas.
Je pense trop pour un état si bas ;
Au dernier rang les destins m'ont comprise.
Dans le premier vos vertus vous ont mise.
Naïvement dites-moi quel effet
Ce livre anglais sur votre esprit a fait ?
Il ne m'a point du tout persuadée ;
Plus que jamais, monsieur, j'ai dans l'idée
Qu'il est des coeurs si grands, si généreux,
Que tout le reste est bien vil auprès d'eux.
Vous en êtes la preuve... ah çà, Nanine,
Permettez-moi qu'ici l'on vous destine
Un sort, un rang moins indigne de vous.
Hélas ! Mon sort était trop haut, trop doux.