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DRIXA.

Ménagez Socrate, pourvu que j’aie mon jeune homme. Mais comment Agathon a-t-il pu laisser sa fille entre les mains de ce vieux nez épaté de Socrate, de cet insupportable raisonneur, qui corrompt les jeunes gens, et qui les empêche de fréquenter les courtisanes et les saints mystères ?

ANITUS.

Agathon était entiché des mêmes principes. C’était un de ces sobres et sérieux extravagants, qui ont d’autres moeurs que les nôtres, qui sont d’un autre siècle et d’une autre patrie ; un de nos ennemis jurés, qui pensent avoir rempli tous leurs devoirs quand ils ont adoré la Divinité, secouru l’humanité, cultivé l’amitié, et étudié la philosophie ; de ces gens qui prétendent insolemment que les dieux n’ont pas écrit l’avenir sur le foie d’un boeuf ; de ces raisonneurs impitoyables qui trouvent à redire que les prêtres sacrifient des filles, ou passent la nuit avec elles, selon le besoin : vous sentez que ce sont des monstres qui ne sont bons qu’à étouffer. S’il y avait seulement dans Athènes cinq ou six sages qui eussent autant de considération que lui, c’en serait assez pour m’ôter la moitié de mes rentes et de mes honneurs.

DRIXA.

Diable ! Voilà qui est sérieux cela.

ANITUS.

En attendant que je l’étrangle, je vais lui parler sous ces portiques, et conclure avec lui l’affaire de mon mariage.

DRIXA.

Le voici : vous lui faites trop d’honneur. Je vous laisse, et je vais parler de mon jeune homme à Xantippe.

ANITUS.

Les dieux vous conduisent, ma chère Drixa ; servez-les toujours, gardez-vous de ne croire qu’un seul dieu, et n’oubliez pas mes deux beaux tapis de Perse.


Scène III.

Anitus, Socrate.
ANITUS.

Eh ! Bonjour, mon cher Socrate, le favori des dieux, et le plus sage des mortels. Je me sens élevé au-dessus de moi-même toutes les fois que je vous vois, et je respecte en vous la nature humaine.