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idamé

Nous délivrer de toi, finir notre misère,
À tant d’atrocités dérober notre sort.

zamti

Veux-tu nous envier jusques à notre mort ?

gengis

Oui… Dieu, maître des rois, à qui mon cœur s’adresse,
Témoin de mes affronts, témoin de ma faiblesse,
Toi qui mis à mes pieds tant d’états, tant de rois,
Deviendrai-je à la fin digne de mes exploits ?
Tu m’outrages, Zamti ; tu l’emportes encore
Dans un cœur né pour moi, dans un cœur que j’adore.
Ton épouse à mes yeux, victime de sa foi,
Veut mourir de ta main, plutôt que d’être à moi.
Vous apprendrez tous deux à souffrir mon empire,
Peut-être à faire plus.

idamé

Peut-être à faire plus.Que prétends-tu nous dire ?

zamti

Quel est ce nouveau trait de l’inhumanité ?

idamé

D’où vient que notre arrêt n’est pas encor porté ?

gengis

Il va l’être, madame, et vous allez l’apprendre.
Vous me rendiez justice, et je vais vous la rendre.
À peine dans ces lieux je crois ce que j’ai vu :
Tous deux je vous admire, et vous m’avez vaincu.
Je rougis, sur le trône où m’a mis la victoire,
D’être au-dessous de vous au milieu de ma gloire.
En vain par mes exploits j’ai su me signaler ;
Vous m’avez avili : je veux vous égaler.
J’ignorais qu’un mortel pût se dompter lui-même ;
Je l’apprends ; je vous dois cette gloire suprême :
Jouissez de l’honneur d’avoir pu me changer.
Je viens vous réunir : je viens vous protéger.
Veillez, heureux époux, sur l’innocente vie
De l’enfant de vos rois, que ma main vous confie ;
Par le droit des combats j’en pouvais disposer ;
Je vous remets ce droit, dont j’allais abuser.
Croyez qu’à cet enfant, heureux dans sa misère.
Ainsi qu’à votre fils, je tiendrai lieu de père :
Vous verrez si l’on peut se fier à ma foi.