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Seigneur, en votre nom j’ai rougi de parler
À ce vil ennemi qu’il fallait immoler ;
D’un œil d’indifférence il a vu le supplice ;
Il répète les noms de devoir, de justice ;
Il brave la victoire : on dirait que sa voix,
Du haut d’un tribunal, nous dicte ici des lois.
Confondez avec lui son épouse rebelle ;
Ne vous abaissez point à soupirer pour elle ;
Et détournez les yeux de ce couple proscrit,
Qui vous ose braver quand la terre obéit.

gengis

Non, je ne reviens point encor de ma surprise :
Quels sont donc ces humains que mon bonheur maîtrise ?
Quels sont ces sentiments, qu’au fond de nos climats
Nous ignorions encore et ne soupçonnions pas ?
À son roi, qui n’est plus, immolant la nature,
L’un voit périr son fils sans crainte et sans murmure :
L’autre, pour son époux, est prête à s’immoler :
Rien ne peut les fléchir, rien ne les fait trembler.
Que dis-je ? Si j’arrête une vue attentive
Sur cette nation désolée et captive,
Malgré moi je l’admire en lui donnant des fers :
Je vois que ses travaux ont instruit l’univers ;
Je vois un peuple antique, industrieux, immense.
Ses rois sur la sagesse ont fondé leur puissance,
De leurs voisins soumis heureux législateurs,
Gouvernant sans conquête, et régnant par les mœurs.
Le ciel ne nous donna que la force en partage ;
Nos arts sont les combats, détruire est notre ouvrage.
Ah ! De quoi m’ont servi tant de succès divers ?
Quel fruit me revient-il des pleurs de l’univers ?
Nous rougissons de sang le char de la victoire.
Peut-être qu’en effet il est une autre gloire :
Mon cœur est en secret jaloux de leurs vertus ;
Et, vainqueur, je voudrais égaler les vaincus.

octar

Pouvez-vous de ce peuple admirer la faiblesse ?
Quel mérite ont des arts enfants de la mollesse,
Qui n’ont pu les sauver des fers et de la mort ?
Le faible est destiné pour servir le plus fort :
Tout cède sur la terre aux travaux, au courage ;
Mais c’est vous qui cédez, qui souffrez un outrage,