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Frappez ce triste cœur qui cède à son effroi,
Et sauvez un mortel plus généreux que moi.
Seigneur, il est trop vrai que notre auguste maître,
Qui, sans vos seuls exploits, n’eût point cessé de l’être,
A remis à mes mains, aux mains de mon époux,
Ce dépôt respectable à tout autre qu’à vous.
Seigneur, assez d’horreurs suivaient votre victoire,
Assez de cruautés ternissaient tant de gloire ;
Dans des fleuves de sang tant d’innocents plongés,
L’empereur et sa femme, et cinq fils égorgés,
Le fer de tous côtés dévastant cet empire,
Tous ces champs de carnage auraient dû vous suffire.
Un barbare en ces lieux est venu demander
Ce dépôt précieux que j’aurais dû garder,
Ce fils de tant de rois, notre unique espérance.
À cet ordre terrible, à cette violence,
Mon époux, inflexible en sa fidélité,
N’a vu que son devoir, et n’a point hésité :
Il a livré son fils. La nature outragée
Vainement déchirait son âme partagée ;
Il imposait silence à ses cris douloureux.
Vous deviez ignorer ce sacrifice affreux :
J’ai dû plus respecter sa fermeté sévère ;
Je devais l’imiter : mais enfin je suis mère ;
Mon âme est au-dessous d’un si cruel effort ;
Je n’ai pu de mon fils consentir à la mort.
Hélas ! Au désespoir que j’ai trop fait paraître,
Une mère aisément pouvait se reconnaître.
Voyez de cet enfant le père confondu,
Qui ne vous a trahi qu’à force de vertu :
L’un n’attend son salut que de son innocence ;
Et l’autre est respectable alors qu’il vous offense.
Ne punissez que moi, qui trahis à la fois
Et l’époux que j’admire, et le sang de mes rois.
Digne époux ! Digne objet de toute ma tendresse !
La pitié maternelle est ma seule faiblesse :
Mon sort suivra le tien ; je meurs si tu péris ;
Pardonne-moi du moins d’avoir sauvé ton fils[1].

  1. « Je vous demandé avec la plus vive instance, écrivait Voltaire à d’Argental, qu’on ne retranche rien au couplet de Mlle Clairon au troisième acte… Mme Denis, qui joue Idamé sur notre petit théâtre, serait bien fâchée que cette tirade fut plus courte. »