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gengis

Non, depuis qu’en ces lieux mon âme fut vaincue,
Depuis que ma fierté fut ainsi confondue,
Mon cœur s’est désormais défendu sans retour
Tous ces vils sentiments qu’ici l’on nomme amour.
Idamé, je l’avoue, en cette âme égarée
Fit une impression que j’avais ignorée.
Dans nos antres du nord, dans nos stériles champs,
Il n’est point de beauté qui subjugue nos sens ;
De nos travaux grossiers les compagnes sauvages
Partageaient l’âpreté de nos mâles courages :
Un poison tout nouveau me surprit en ces lieux ;
La tranquille Idamé le portait dans ses yeux :
Ses paroles, ses traits, respiraient l’art de plaire.
Je rends grâce au refus qui nourrit ma colère ;
Son mépris dissipa ce charme suborneur,
Ce charme inconcevable, et souverain du cœur.
Mon bonheur m’eût perdu ; mon âme tout entière
Se doit aux grands objets de ma vaste carrière.
J’ai subjugué le monde, et j’aurais soupiré !
Ce trait injurieux, dont je fus déchiré,
Ne rentrera jamais dans mon âme offensée ;
Je bannis sans regret cette lâche pensée :
Une femme sur moi n’aura point ce pouvoir ;
Je la veux oublier, je ne veux point la voir :
Qu’elle pleure à loisir sa fierté trop rebelle ;
Octar, je vous défends que l’on s’informe d’elle.

octar

Vous avez en ces lieux des soins plus importants.

gengis

Oui, je me souviens trop de tant d’égarements.


Scène VII.

GENGIS, OCTAR, OSMAN.
osman

La victime, seigneur, allait être égorgée ;
Une garde autour d’elle était déjà rangée ;
Mais un événement, que je n’attendais pas,
Demande un nouvel ordre, et suspend son trépas ;