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idamé

Ah ! Cher époux, demeure ;
Écoute-moi du moins.

zamti

Hélas !… il faut qu’il meure.

idamé

Qu’il meure ! Arrête, tremble, et crains mon désespoir ;
Crains sa mère.

zamti

Je crains de trahir mon devoir.
Abandonnez le vôtre ; abandonnez ma vie
Aux détestables mains d’un conquérant impie.
C’est mon sang qu’à GENGIS il vous faut demander.
Allez, il n’aura pas de peine à l’accorder.
Dans le sang d’un époux trempez vos mains perfides ;
Allez : ce jour n’est fait que pour des parricides.
Rendez vains mes serments, sacrifiez nos lois,
Immolez votre époux, et le sang de vos rois.

idamé

De mes rois ! Va, te dis-je ; ils n’ont rien à prétendre ;
Je ne dois point mon sang en tribut à leur cendre :
Va, le nom de sujet n’est pas plus saint pour nous
Que ces noms si sacrés et de père et d’époux.
La nature et l’hymen, voilà les lois premières,
Les devoirs, les liens, des nations entières ;
Ces lois viennent des dieux ; le reste est des humains[1].
Ne me fais point haïr le sang des souverains :
Oui, sauvons l’orphelin d’un vainqueur homicide ;
Mais ne le sauvons pas au prix d’un parricide ;
Que les jours de mon fils n’achètent point ses jours :
Loin de l’abandonner, je vole à son secours ;
Je prends pitié de lui ; prends pitié de toi-même,
De ton fils innocent, de sa mère qui t’aime.

  1. On était accoutumé sur notre théâtre à voir des sujets immoler leurs enfants pour sauter ceux de leurs rois, et l’on fut étonné d’entendre dans l’Orphelin le cri de la nature. Zamti ne devait pas sacrifier son fils pour le fils de l’empereur. Un particulier, une nation même n’a pas le droit de livrer un innocent à la mort pour des vues d’utilité politique. Mais Zamti, en immolant son fils unique, faisait, à ce qu’il regardait comme son devoir, le sacrifice le plus grand qu’un homme puisse faire. En sacrifiant un étranger, il n’eût été qu’odieux ; en sacrifiant son fils, il est intéressant quoique injuste. (K.)
    La censure avait fait difficulté un instant de laisser passer ces trois vers ; mais ils furent maintenus.