C’est lui-même, Asséli : son superbe courage,
Sa future grandeur, brillaient sur son visage ;
Tout semblait, je l’avoue, esclave auprès de lui ;
Et lorsque de la cour il mendiait l’appui,
Inconnu, fugitif, il ne parlait qu’en maître.
Il m’aimait ; et mon cœur s’en applaudit peut-être[1] :
Peut-être qu’en secret je tirais vanité
D’adoucir ce lion dans mes fers arrêté,
De plier à nos mœurs cette grandeur sauvage,
D’instruire à nos vertus son féroce courage,
Et de le rendre enfin, grâces à ces liens,
Digne un jour d’être admis parmi nos citoyens.
Il eût servi l’état, qu’il détruit par la guerre :
Un refus a produit les malheurs de la terre.
De nos peuples jaloux tu connais la fierté.
De nos arts, de nos lois l’auguste antiquité,
Une religion de tout temps épurée,
De cent siècles de gloire une suite avérée :
Tout nous interdisait, dans nos préventions,
Une indigne alliance avec les nations.
Enfin un autre hymen, un plus saint nœud m’engage ;
Le vertueux Zamti mérita mon suffrage.
Qui l’eût cru, dans ces temps de paix et de bonheur,
Qu’un scythe méprisé serait notre vainqueur ?
Voilà ce qui m’alarme, et qui me désespère.
J’ai refusé sa main ; je suis épouse et mère :
Il ne pardonne pas : il se vit outrager ;
Et l’univers sait trop s’il aime à se venger.
Étrange destinée, et revers incroyable !
Est-il possible, ô dieu ! Que ce peuple innombrable
Sous le glaive du scythe expire sans combats,
Comme de vils troupeaux que l’on mène au trépas ?
Les coréens, dit-on, rassemblaient une armée ;
Mais nous ne savons rien que par la renommée,
- ↑ On peut comparer ces vers à ceux que dit Aricie dans la Phèdre de Racine :
Phèdre en vain s’honorait des soupirs de Thésée :
Pour moi, je suis plus fière, et fuis la gloire aisée
D’arracher un hommage a mille autres offert,
Et d’entrer dans un cœur du toutes parts ouvert.