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Nous ignorons encore à quelle atrocité
Le vainqueur insolent porte sa cruauté.
Nous entendons gronder la foudre et les tempêtes.
Le dernier coup approche, et vient frapper nos têtes.

idamé

Ô fortune ! Ô pouvoir au-dessus de l’humain !
Chère et triste Asséli, sais-tu quelle est la main
Qui du Catai sanglant presse le vaste empire,
Et qui s’appesantit sur tout ce qui respire ?

asséli

On nomme ce tyran du nom de roi des rois.
C’est ce fier Gengis-Kan, dont les affreux exploits
Font un vaste tombeau de la superbe Asie.
Octar, son lieutenant, déjà, dans sa furie,
Porte au palais, dit-on, le fer et les flambeaux.
Le Catai passe enfin sous des maîtres nouveaux :
Cette ville, autrefois souveraine du monde,
Nage de tous côtés dans le sang qui l’inonde ;
Voilà ce que cent voix, en sanglots superflus,
Ont appris dans ces lieux à mes sens éperdus[1].

idamé

Sais-tu que ce tyran de la terre interdite,
Sous qui de cet état la fin se précipite,
Ce destructeur des rois, de leur sang abreuvé,
Est un scythe, un soldat dans la poudre élevé,
Un guerrier vagabond de ces déserts sauvages,
Climat qu’un ciel épais ne couvre que d’orages ?
C’est lui qui, sur les siens briguant l’autorité,
Tantôt fort et puissant, tantôt persécuté,
Vint jadis à tes yeux, dans cette auguste ville,
Aux portes du palais demander un asile.
Son nom est Témugin ; c’est t’en apprendre assez.

asséli

Quoi ! C’est lui dont les vœux vous furent adressés !
Quoi ! C’est ce fugitif, dont l’amour et l’hommage
À vos parents surpris parurent un outrage !
Lui qui traîne après soi tant de rois ses suivants.
Dont le nom seul impose au reste des vivants ?

  1. Mlle  Clairon ayant supprimé ces deux vers, « Vous pouvez être très-sûre, lui écrivit Voltaire, que les sanglots n’ont pas d’autre passage que celui de la voix, et si on n’est pas accoutumé à cette expression, il faudra bien qu’on s’y accoutume. »