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Quoi ! Pour l'objet le plus vil, le plus bas,
Vous me trompez !

LE COMTE

Non, je ne trompe pas ;
Dissimuler n'est pas mon caractère :
J'étais à vous, vous aviez su me plaire,
Et j'espérais avec vous retrouver
Ce que le ciel a voulu m'enlever,
Goûter en paix, dans cet heureux asile,
Les nouveaux fruits d'un noeud doux et tranquille ;
Mais vous cherchez à détruire vos lois.
Je vous l'ai dit, l'amour a deux carquois[1] :
L'un est rempli de ces traits tout de flamme,
Dont la douceur porte la paix dans l'âme,
Qui rend plus purs nos goûts, nos sentiments,
Nos soins plus vifs, nos plaisirs plus touchants ;
L'autre n'est plein que de flèches cruelles
Qui, répandant les soupçons, les querelles,
Rebutent l'âme, y portent la tiédeur,
Font succéder les dégoûts à l'ardeur :
Voilà les traits que vous prenez vous-même
Contre nous deux ; et vous voulez qu'on aime !

LA BARONNE

Oui, j'aurai tort ! Quand vous vous détachez,
C'est donc à moi que vous le reprochez.
Je dois souffrir vos belles incartades,
Vos procédés, vos comparaisons fades.
Qu'ai-je donc fait, pour perdre votre coeur ?
Que me peut-on reprocher ?

LE COMTE

Votre humeur,
N'en doutez pas : oui, la beauté, Madame,
Ne plaît qu'aux yeux ; la douceur charme l'âme.

LA BARONNE

Mais êtes-vous sans humeur, vous ?

LE COMTE

Moi ? Non ;
J'en ai sans doute, et pour cette raison
Je veux, madame, une femme indulgente,

  1. Ces vers sont imités d’Ovide, Voltaire a reproduit la même idée dans le prologue du chant XXI de la Pucelle.