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tout entier à la guerre, à cette profession qui demande un sens droit et une extrême vigilance, il eût été au rang des plus illustres capitaines de son siècle ; mais, comme César n’eût été que le second des orateurs, Cicéron n’eût été que le second des généraux. Il préféra à toute autre gloire celle d’être le père de la maîtresse du monde : et quel prodigieux mérite ne fallait-il pas à un simple chevalier d’Arpinum pour percer la foule de tant de grands hommes, pour parvenir sans intrigue à la première place de l’univers, malgré l’envie de tant de patriciens qui régnaient à Rome !

Ce qui étonne surtout, c’est que, dans les tumultes et les orages de sa vie, cet homme, toujours chargé des affaires de l’état et de celles des particuliers, trouvât encore du temps pour être instruit à fond de toutes les sectes des Grecs, et qu’il fût le plus grand philosophe des Romains, aussi bien que le plus éloquent. Y a-t-il dans l’Europe beaucoup de ministres, de magistrats, d’avocats même un peu employés, qui puissent, je ne dis pas expliquer les admirables découvertes de Newton, et les idées de Leibnitz, comme Cicéron rendait compte des principes de Zenon, de Platon, et d’épicure, mais qui puissent répondre à une question profonde de philosophie ?

Ce que peu de personnes savent, c’est que Cicéron était encore un des premiers poètes d’un siècle où la belle poésie commençait à naître. Il balançait la réputation de Lucrèce. Y a-t-il rien de plus beau que ces vers qui nous sont restés de son poème sur Marius, et qui font tant regretter la perte de cet ouvrage ?

Sic[1] Jovis altisoni subito pinnata satelles,
Arboris e trunco, serpentis saucia morsu,
Ipsa feris subigit transfigens unguibus anguem
Semianimum, et varia graviter cervice micantem
Quem se intorquentem lanians rostroque cruentans,
Jam satiata animum, jam duros ulta dolores
Abjicit efflantem, et laceratum affligit in undas,
Seque obitu a solis nitidos convertit ad ortus.

Je suis de plus en plus persuadé que notre langue est impuissante

  1. Dans les Consolations de ma captivité, par Boucher, tome Ier, page 21l, on trouve une autre traduction des vers de Cicéron. Le nouveau traducteur, comme Voltaire, suppose que le texte latin porte sic ; mais Cicéron a écrit hic. L’orateur romain, ainsi que le remarque M. A.-A. Renouard, n’a pas fait une comparaison, mais une description, un récit. (B.)