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40 PRÉFACE.

sont ainsi rapprochés, ils rentrent chacun dans leur véritable carrière : l’un reprend le ton plaisant, et l’autre le ton sublime,

La comédie, encore une fois, peut donc se passionner, s’emporter, attendrir, pourvu qu’ensuite elle fasse rire les honnêtes gens. Si elle manquait de comique, si elle n’était que larmoyante, c’est alors ([u’elle serait un genre très-vicieux et très-désagréable.

On avoue qu’il est rare de faire passer les spectateurs insensiblement de l’attendrissement au rire ; mais ce passage, tout difficile qu’il est de le saisir dans une comédie, n’en est pas moins naturel aux hommes. On a déjà remarqué ailleurs’que rien n’est plus ordinaire que des aventures qui affligent l’âme, et dont certaines circonstances inspirent ensuite une gaieté passagère. C’est ainsi malheureusement que le genre humain est fait. Homère représente même les dieux riant de la mauvaise grâce de Vulcain, dans le temps qu’ils décident du destin du monde. Hector sourit de la peur de son fils Astyanax, tandis qu’Andromaque répand des larmes.

On voit souvent, jusfjue dans l’horreur des batailles, des incendies, de tous les désastres qui nous affligent, qu’une naïveté, un bon mot, excitent le rire jusque dans le sein de la désolation et de la pitié. Qji d.éfendit à un régiment, dans la bataille de Spire, de faire quartier ; un officier allemand demande la vie à l’un des nôtres, qui lui répond : « Monsieur, demandez-moi toute autre chose ; mais pour la vie, il n’y a pas moyen. » Cette naïveté passe aussitôt de bouche en bouche, et on rit au milieu du carnage. A combien plus forte raison le rire peut-il succéder, dans la comédie, à des sentiments touchants ? Ne s’attendrit-on pas avec Alcmène ? Ne rit-on pas avec Sosie ? Quel misérable et vain travail de disputer contre l’expérience ? Si ceux qui disputent ainsi ne se payaient pas de raison, et aimaient mieux les vers, on leur citerait ceux-ci :

L’Amour règne par le délire

Sur ce ridicule univers :

Tiiiitôt aux esprits de travers

Il fait rimer de mauvais vers ;

Tantôt il renverse un empire.

L’œil en feu, le fer à la main,

Il frémit dans la tragédie ;

Non moins touchant, ot [)his iiumain,

1. Voyez, Tluâhe, tome II, page ii3, dans la préface de l’Enfant prodigue.