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SUR LA TRAGÉDIE D’ORESTli. 187

Cette supposition est simple et tout à fait vraisemblable ; et je crois qu’Égisthe, intéressé autant qu’il l’était à cette mort, pouvait s’en contenter sans entrer dans un examen plus approfondi : on croit très-aisément ce que l’on souhaite avec une passion violente. D’ailleurs Cl\ temnestre interrompt celte conversation (jui l’accable ; et l’action est ensuite si précipitée, ainsi que dins Sophocle, qu’il n’est pas possible à Égistho d’en demander ni d’en apprendre davantage. Cependant, comme le caractère d’un tyran est toujours rempli de défiance, il ordonne qu’on aille chercher son fils pour confirmer le récit des deux étrangers.

La reconnaissance d’Electre et d’Oreste, fondée sur la force de la natu : e et sur le cri du sang, en même temps que sur les soupçons d’Iphise, sur quelques paroles équivoques d’Oreste, et sur son attendrissement, me paraît d’autant plus pathétique qu’Oreste, en se découvrant, éprouve des combats qui ajoutent beaucoup k l’attendrissement qui naît de la situation. Les reconnaissances sont toujours touchantes, à moins qu’elles ne soient très-maladroitement traitées ; mais les plus belles sont peut-être celles qui produisent un effet qu’on n’attendait pas, qui servent à faire un nouveau nœud, à le resserrer, et qui replongent le héros dans un nouveau péril. On s’intéresse toujours à deux personnes malheureuses qui se reconnaissent après une longue absence et de grandes infortunes ; mais si ce bonheur passager les rend encore plus misérables, c’est alors que le cœur est déchiré, ce qui est le vrai but de la tragédie.

À l’égard de cette partie de la catastrophe que l’autour d’Oreste a imitée de Sophocle, et qu’il n’a pas, dit-il, osé faire repré.senter’, je suis d’un avis contraire au sien ; je crois que si ce morceau était joué avec terreur, il en produirait beaucoup.

Qu’on se figure Electre, Iphise, et Pylade, saisis d’effroi, et marquant chacun leur surprise aux cris de Clytemnestre ; ce tableau devrait faire, ce me semble, un aussi grand effet à Paris qu’il en fit à Athènes, et cela avec d’autant plus de raison que Clytemnestre inspire beaucoup plus de pitié dans la pièce française que dans la pièce grecque. Peut-être qu’à la première représentation, des gens malintentionnés purent profiter de la difficulté de représenter cette action sur un th ’àtre étroit et embarrassé par la foule des spectateurs -, pour y jeter ([uelque ridicule. Mais comme il est très-certain que la chose est bonne en soi, il faudrait nécessairement qu’elle parût bonne à la longue, malgré tous les discours et toules les critiques. Il ne serait pas même impossible de disposer le théâtre et les décorations d’une manière qui favorisât ce grand tableau. Enfin il me parait que celui’qui a heureusement osé faire paraître une ombre d’après Eschyle et d’après Euripide* pourrait fort bien faire entendre les cris de Clytemnestre d’après

1. Voyez sa note, page 153.

2. Voyez la note, Théâtre, tomo r-"", page 315.

3. Voltaire liii-m^’ine, dans Séniirainis. (B.)

4. On voit que Voltaire tient à ce que son ombre do. Ninus soit de race g^ccqu^ et non d’origine anglaise. (G. A.)