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pas été complète si les assassins avaient été punis par un autre que le fils d’Agamemnon, et d’une autre manière que celle qu’ils avaient employée en commettant le crime. Dans Euripide, Égisthe est assassiné par derrière, tandis qu’il est penché sur une victime, parce qu’il avait frappé Agamemnon lorsqu’il changeait de robe pour se mettre à table : cette robe était cousue ou fermée par le haut, de sorte que le roi ne put se dégager ni se défendre : c’est ce que le nouvel auteur a désigné par ces mots de vêtements de mort, et de piège (1, n).

L’auteur français n’a fait qu’ajouter à cet ordre des dieux une menace terrible, en cas qu’Oreste désobéit, et qu’il se découvrît à sa sœur. Cette sage défense était d’ailleurs nécessaire pour la réussite de son projet. La joie d’Electre aurait assurément éclaté, et aurait découvert son frère. D’ailleurs, Que pouvait en sa faveur une princesse malheureuse et chargée de fers ? Pylade a raison de dire à son ami que sa sœur peut le perdre, et ne saurait le servir ; et dans un autre endroit IV, i) :


Renferme cette amour et si tendre et si pure.

Doit-on craindre en ces lieux de dompter la nature ?

Ah ! de quels sentiments te laisses-tu troubler ?

Il faut venger Electre, et non la consoler.

C’est cette menace des dieux qui produit le nœud et le dénomment ; c’est elle qui retient d’abord Oreste, quand Electre s’abandonne au désespoir, à la vue de l’urne qu’elle croit contenir les cendres de son frère ; c’est elle qui est la cause de la résolution furieuse que prend Electre de tuer son propre frère, qu’elle croit l’assassin d’Oreste ; c’est cette menace des dieux qui est accomplie quand ce frère trop tendre a desobéi ; c’est elle enfin qui donne au malheureux Oreste l’aveuglement et le transport dans lesquels il tue sa mère ; de sorte qu’il est puni lui-même en la punissant.

C’était une maxime reçue chez tous les anciens que les dieux punissaient la moindre désobéissance à leurs ordres comme les plus grands crimes ; et c’est ce qui rend encore plus beaux ces vers que l’auteur met dans la bouche d’Oreste, au troisième acte :


Éternelle justice, abîme impénétrable,

Ne distinguez-vous point le faible et le coupable,

Le mortel qui s’égare, ou qui brave vos lois,

Qui trahit la nature, ou qui cède à sa voix ?

Ce ne sont pas là de ces vaines sentences détachées : ces vers sont en sentiment aussi bien qu’en maxime ; ils appartiennent à cette philosophie naturelle qui est dans le cœur, et qui fait un des caractères distinctifs des ouvrages de l’auteur.

1. La scène de la tragédie d’Oreste, où se trouvaient ces vers, a été supprimée, et remplacée par les trois premières scènes de cette édition. On la trouvera avec les variantes. (K.)