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182 DISSERTATION

Mais il n’a pas voulu roprésentor Électro étendant sa vengeance sur sa propre mère, se dirigeant d’abord du soin de se défaire de Clyteninestre, ensuite excitant son frère à cette action détestable, et conduisant sa main dans le sein maternel. Il les a rendus plus respectueux pour celle qui leur a donné la naissance, et il a même semé dans le rôle d’Electre, tantôt des sentiments de tendresse et de respect, et tantôt des emportements, selon qu’elle a plus ou moins d’espérance.

Les rôles de Pylade et de Pammène me paraissent avoir été faits pour suppléer aux chœurs de Sophocle ^ [On sait les effets prodigi(mx (pie faisaient ces chœurs, accompagnés de musique et de danse : à en juger par ces effets, la musique devait merveilleusement seconder et augmenter le terrible et le pathétique des vers. La danse des anciens était peut-être supérieure à leur musique ; elle exprimait, elle peignait les pensées les plus sublimes et les passons les plus violentes ; elle parlait au cœur comme aux yeux. Le chœur des Euménides d’Eschyle coûta la vie à plusieurs des spectateurs. Quant aux paroles des chœurs, elles n’étaient qu’un tissu de pensées sublimes, de principes d’équité, de vertus, et de la morale la plus épurée. Le nouvel auteur a tâché de suppléer par les rôles de Pylade et de Pammène à ces beautés qui manquent à notre théâtre.] Quelle sagesse dans l’un et dans l’autre personnage ! et quels sentiments l’auteur donne au premier ! Je n’en veux rapporter que deux exemples. Le premier est tiré de la scène où Pylade dit à Oreste (II, i) :

C’est assez ; et du ciel je reconnais l’ouvrage. Il nous a tout ravi parce cruel naufrage ; Il veut seul accomplir ses augustes desseins ; Pour ce grand sacrifice il ne veut que nos mains. Tantôt de trente rois il arme la vengeance ; Tantôt trompant la terre, et frappant en silence, Il veut, en signalant son pouvoir oublie, N’armer que la nature et la seule amitié.

L’autre est tiré de la scène où Pylade dit à Electre qu’Oreste obéit aux dieux (IV, II) :

Les arrêts du destin trompent souvent notre âme :

Il conduit les mortels ; il dirige leurs pas

Par des chemins secrets qu’ils ne connaissent pas ;

Il plonge dans l’abîme, et bientôt en retire ;

Il accable de fers ; il élève à l’empire ;

Il fait trouver la vie au milieu des tombeaux…

Le fond du rôle de (Ilytemnestre est tiré aussi de Sophocle, quoique tempéré [)ar la Clytemnestre d’Euripide. On voit évidemment, dans les deux poètes grecs, que Clytemnestre est souvent prête à s’attendrir. Elle se justifie devant Electre, elle entend ses reproches ; et il est certain que si Electre

1. Ce qui est entre deux crochets fut ajoute en 1757. (B.)