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insensé ; qu’ils sont trop occupés de leurs infortunes et de leur vengeance pour s’amuser à lier une partie carrée avec les deux enfants du bourreau d’Agamemnon, et de leur plus implacable ennemi. Ces amants transis auriSent fait horreur à toute la Grèce, et le peuple aurait prononcé sur-lechamp contre une fable aussi absurde et aussi déshonorante pour le destructeur de Troie et pour toute la nation.
Cette courte analyse des deux pièces rivales de YÉleclre de Sophocle suffit pour faire connaître combien celle-ci est préférable aux deux autres, par rapport à la fable (p-ùSo ;), et par rapport aux mœurs (ri6yi).
Mais le principal mérite de Sophocle, celui qui lui a acquis l’estime et les éloges de ses contemporains et des siècles suivants jusqu’au nôtre, celui qui les" lui procurera tant que les lettres grecques subsisteront, c’est la noblesse et l’harmonie de sa diction (Xé^i ?)- Quoique Euripide l’emporte quelquefois sur lui par la beauté des pensées (Jiâvotat), Sophocle est au-dessus de lui par la grandeur, par la majesté, par la pureté du style, et par l’harmonie. C’est ce que le savant et judicieux abbé Dubos appelle la poésie de style. C’est elle qui a fait donner à Sophocle le surnom d’abeille, c’est elle qui lui a fait remporter vingt-trois victoires sur tous les poëtes de son temps. Le dernier de ses triomphes lui coûta la vie par la surprise et par la joie imprévue qu’il en eut ; de sorte qu’on peut dire de lui qu’il est mort dans le sein de la victoire.
Les termes pittoresques, et cette imagination dans l’expression, sans laquelle le vers tombe en langueur, soutiendront Homère et Sophocle dans tous les temps, et charmeront toujours les amateurs de la langue dans laquelle ces grands hommes ont écrite Ce mérite si rare de la beauté de l’élocution est, selon Quintilien, comme une musique harmonieuse qui charme les oreilles délicates. Un poëme aurait beau être parfait d’ailleurs, et conduit selon toutes les règles de l’art, il ne sera lu de personne s’il manque de ce mérite et s’il pèche par l’élocution : cela est si vrai qu’il n’y a jamais eu, dans aucune langue et chez aucun peuple, de poëme mal écrit qui jouisse de la moindre estime permanente et durable. C’est ce qui a fait entièrement oublier YÉleclre de Longepierre, et celles dont j’ai parlé ci-dessus- : c’est ce qui a fait universellement rejeter parmi mus la Pucelle de Chapelain, et le poëme de Clovis de Desmarets.
« Ce sont deux poèmes épiques, ajoute M. l’abbé Dubos, dont la constitution et les mœurs valent mieux sans comparaison que celles des deux tragédies (du Cid el de Pompée). D’ailleurs leurs incidents, qui font la plul belle partie de notre histoire, doivent plus attacher la nation française que des événements arrivés depuis longtemps dans l’Espagne et dans l’Égypte. Chacun sait le succès de ces poëmes, qu’on ne saurait imputer qu’au défaut de la poésie de style. On n’y trouve presque point de senti-
j^ Graiis ingenium, Graiis dédit ore rotundo
Musa loqui.
HoK., de Art. poet., v. 323.
2. Voyez page 1C8.