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souvenir ; aimez-moi un peu. Ce sera pour moi la récompense la plus flatteuse du peu que je puis faire.

Beaumarchais a été blâmé par le parlement ; on dit que c’est pour empêcher ceux qui leur ont donné de l’argent de le dire tout haut. On le déclare infâme pour les cas résultant du procès ; comme si ce n’était pas le délit, mais l’opinion du tribunal qui put faire l’infamie. Il n’y a rien de plus absurde, de plus lâche, de plus insolent et de plus maladroit en même temps, que cet arrêt. Sans celui de La Barre, on serait tenté de regretter l’ancien parlement.

Savez-vous qu’il a été sérieusement question de rétablir les jésuites, c’est-à-dire de former une congrégation de prêtres chargés spécialement d’élever la jeunesse, et dont les ex-jésuites formeraient la plus grande partie ? On leur aurait donné tous les petits collèges de province. Nos ministres ont eu la bonté de ne pas rire au nez de ceux qui ont proposé ce beau projet ; mais après un examen sérieux ils l’ont rejeté. On s’est rabattu à former une congrégation d’éducation, dont les jésuites seraient exclus ; mais ce seront toujours des fanatiques et des moines. C’est comme si les Caraïbes changeaient l’habitude d’aplatir en large la tête de leurs enfants en celle de l’aplatir en long : ils n’en resteraient pas moins imbéciles. Les dévots se sont réconciliés avec les athées hypocrites pour faire cette belle œuvre, dont il ne faut pourtant parler qu’avec des mitaines. L’agonie de la superstition sera longue, et elle a quelquefois des intervalles de vigueur qui font frémir !

Le comte Schouvalow[1] a fait des vers charmants à Ferney, qui vaut mieux que le Parnasse. Vous ne me les avez pas envoyés. Vous ne m’envoyez rien !

9061. — À M. LE MARQUIS DE FLORIAN.
7 mars.

L’octogénaire de Ferney est malade, et ne peut écrire de sa main ; le jeune Wagnière est malade, et ne peut prêter sa main à l’octogénaire : il emprunte donc une troisième main pour demander comment on se porte à Montpellier ; il subsiste de l’espérance de revoir les deux voyageurs au mois d’avril. M. de Florian sait sans doute que Goezmann et Beaumarchais sont jugés, et que le public n’est point content. Le public, à la vérité, juge en dernier ressort ; mais ses arrêts ne sont exécutés que par la langue. Le monde a beau parler, il faut obéir[2].

  1. C’est le comte André Schouvalow, neveu de Jean Schouvalow. Voltaire répondit à l’épître dont il est ici question par des vers qu’on peut lire tome X, page 578.
  2. Les juges restèrent assemblés depuis cinq heures du matin jusqu’à dix