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Je vois, monsieur, que vous êtes dans le temple de Cérès[1] aussi bien que dans celui de l’honneur et de la félicité. Vingt charrues à la fois sont sans doute un plus beau spectacle que vingt opéras médiocres, qui auraient fait bâiller Cérès et Triptolème. J’ai eu une fois l’insolence de faire marcher sept charrues de front dans un champ de mes déserts, d’où je n’écris point de Tristes, de de Ponto. Il n’appartient point à Naso d’avoir autant de charrues que Pollio.

Je sais qu’il y a quelques Juifs dans les colonies anglaises. Ces marauds-là vont partout où il y a de l’argent à gagner, comme les Guèbres, les Banians, les Arméniens, courent toute l’Asie, et comme les prêtres isiaques venaient, sous le nom de Bohêmes, voler des poules dans les basses-cours, et dire la bonne aventure. Mais que ces déprépucés d’Israël, qui vendent de vieilles culottes aux sauvages, se disent de la tribu de Nephthali ou d’Issachar, cela est fort peu important ; ils n’en sont pas moins les plus grands gueux qui aient jamais souillé la face du globe.

Il me reste à vous dire ce que je pense du procès de Beaumarchais ; je crois ne m’être pas trompé sur le procès du comte de Morangiés, du général Lally, de Calas, de Sirven, et de Montbailli. Je me suis fait Perrin Dandin ; je juge les procès au coin de mon feu, et j’ai jugé celui de Beaumarchais dans ma tête ; mais je me garderai bien de prononcer tout haut mon jugement. Je prévois déjà que messieurs ne seront pas tout à fait de mon avis tout haut, quoique dans le fond du cœur ils en soient tout bas.

Je crois, monsieur, avoir répondu tant bien que mal à tous vos articles ; mais il y en a un qui me tient bien plus au cœur, c’est celui de l’espérance que j’ai de vous revoir, si jamais vous allez consulter Tissot, ou si votre régiment est en Franche-Comté.

Conservez vos bontés pour le vieux bavard malingre.

9003. — À M. LE BARON D’ESPAGNAC[2],
gouverneur de l’hotel royal des invalides.
À Ferney, 15 décembre.

La première chose que j’ai faite, monsieur, en recevant votre livre, ç’a été de passer presque toute la nuit à le lire avec mes

  1. Chanteloup.
  2. Jean-Baptiste Damazet de Sahuguet, baron d’Espagnac, né en 1713, mort en