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supposez, vous me faites bien de l’honneur. Il est vrai que ces deux personnes singulières ont non-seulement beaucoup d’esprit, mais beaucoup de génie. Il est vrai encore que la cour de Pétersbourg est le plus étonnant phénomène de ce siècle. Il est d’ailleurs fort agréable pour un Français de savoir qu’on y parle notre langue aussi bien qu’à Versailles. Je chercherai dans mes paperasses l’épître à Ninon, du jeune comte de Schouvalow, chambellan de l’impératrice. M. Durey voudra bien avoir la bonté de la transcrire, et je vous l’enverrai. Vous serez étonné de ne pas y trouver une faute de langage, et d’y voir beaucoup de vers dignes de vous. Nous avons eu à Ferney ce jeune comte de Schouvalow et sa femme, qui est nièce de je ne sais plus quelle impératrice, et qui laissait traîner sur elle pour quatre millions de diamants.

8973. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
15 novembre.

Si, dans le fracas de ces fêtes, mon cher ange a un quart d’heure de loisir, je lui envoie un rogaton[1] pour passer ce quart d’heure. Il convient, ce me semble, à un ministre pacifique.

Je ne sais s’il a lu la Tactique de M. Guibert[2], ou du moins le discours préliminaire. Ce livre est plein de grandes idées, comme sa tragédie du Connétable de Bourbon est pleine de beaux vers. J’ai eu l’auteur chez moi ; je ne sais s’il sera un Corneille ou un Turenne, mais il me paraît fait pour le grand, en quelque genre qu’il travaille.

Oserai-je vous prier de lui faire parvenir une copie de la satire ou de l’éloge que je viens de faire[3] de son métier de la guerre ? Vous saurez aisément sa demeure. Il n’est pas juste qu’il soit des derniers à voir cette petite plaisanterie, qui le regarde si personnellement ; et vous me pardonnerez aisément la liberté que je prends avec vous.

J’en prends encore une autre, c’est de vous prier d’engager Lekain à jouer à Paris la Sophonisbe qui n’est ni de Mairet ni de Corneille. Il me doit, ce me semble, ses bons offices dans cette petite affaire.

  1. La Tactique ; voyez cette satire, tome X.
  2. Essai général de Tactique, en deux volumes.
  3. La pièce intitulée la Tactique.