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blissiez pas une église de sociniens comme vous en établissez plusieurs de jésuites ; il y a pourtant encore des sociniens en Pologne. L’Angleterre en regorge, nous en avons en Suisse ; certainement Julien les aurait favorisés ; ils haïssent ce qu’il haïssait, ils méprisent ce qu’il méprisait, et ils sont honnêtes gens comme lui. De plus, ayant été tant persécutés par les Polonais, ils ont quelque droit à votre protection.

Après tout le mal que j’ai osé dire des Turcs à Votre Majesté, je ne vous propose pas une mosquée ; cependant Barberousse en eut une à Marseille ; mais vous n’êtes pas fait pour nous imiter : tout ce que je sais, c’est que votre nom sera bien grand de Dantzick jusqu’en Turquie, et de l’abbaye d’Oliva à Sainte-Sophie. Nous donnons, nous autres, beaucoup d’opéras-comiques.

Que Votre Majesté daigne conserver ses bontés au vieux malade Libanius[1] !

8971. — DU CARDINAL DE BERNIS.
Rome, le 10 novembre.

Le pape a été fort édifié de votre obéissance à son bref, mon cher confrère, et très-content que vos Suisses et vos Genevois soient satisfaits de sa conduite ; il sait bien que vous n’êtes pas si aisé à satisfaire. Je ne lui ai point parlé de la lettre fanatique, faussement attribuée à l’évêque d’Amiens : Sa Sainteté doit être rassasiée de libelles.

Vos quatre-vingts ans ne vous ont rien fait perdre du côté du style, ni même du côté de l’écriture. Votre caractère est celui d’un homme de vingt ans bien élevé. Il vous sera plus facile aujourd’hui d’arriver jusqu’à cent ans, qu’il ne vous l’a été d’être parvenu à quatre-vingts.

J’imagine que ni le jeu, ni les femmes, ni même la gourmandise, ne sont plus pour vous des passions, et que vous connaissez trop les hommes pour vous inquiéter de leurs jalousies et de leurs malices. Votre âge vous donne une aussi grande supériorité que vos talents. Aimez-moi toujours, et ne doutez jamais de la fidélité de l’attachement que je vous ai voué pour la vie.

8972. — À M. ***[2].
12 novembre 1773.

Je réponds un peu tard, monsieur, à votre lettre du 1er novembre, mais il faut pardonner à un vieux malade. Je vais

  1. Libanius était l’ami de l’empereur Julien, qui lui adressait des lettres affectueuses dont plusieurs ont été conservées.
  2. Dernier volume des Œuvres de Voltaire, 1862.