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CORRESPONDANCE.

durer ? Moi, qui ne suis que cendre et poussière, dois-je m’opposer aux arrêts de la Providence ?

Que de raisons pour maintenir la paix dont nous jouissons ! il faudrait être insensé pour en troubler la durée. Vous me croyez épuisé par ce que je vous ai dit ci-dessus ne le pensez pas. Une raison aussi valable que celles que je viens d’alléguer est qu’on est persuadé en Russie qu’il est contre la dignité de cet empire de faire usage des secours étrangers, lorsque les forces des Russes sont seules suffisantes pour terminer heureusement cette guerre.

Un léger échec[1] qu’a reçu l’armée de Roumiantsof ne peut entrer en aucune comparaison avec une suite de succès non interrompus qui ont signalé toutes les campagnes des Russes. Tant que cette armée se tiendra sur la rive gauche du Danube, elle n’a rien à craindre. La difficulté consiste à passer ce fleuve avec sûreté. Elle trouve à l’autre bord un terrain excessivement coupé, une difficulté infinie de subsister : ce n’est qu’un désert et des montagnes hérissées de bois qui mènent vers Andrinople. La difficulté d’amasser des magasins, de les conduire avec soi, rend cette entreprise hasardeuse. Mais, comme jusqu’à présent rien n’a été difficile à l’impératrice, il faut espérer que ses généraux mettront heureusement fin à une aussi pénible expédition.

Voilà des raisonnements militaires qui m’échappent ; j’en demande pardon à la philosophie. Je ne suis qu’un demi-quaker jusqu’à présent ; quand je le serai comme Guillaume Penn[2], je déclamerai comme d’autres contre ces assassins privilégies qui ravagent l’univers.

En attendant, donnez-moi mon absolution d’avoir osé nommer le nom de projet de campagne en vous écrivant. C’est dans l’espoir de recevoir votre indulgence plenière que le philosophe de Sans-Souci vous assure qu’il ne cesse de faire des vœux pour le patriarche de Ferney. Vale.

Fédéric.
8950. — À M. LE CHEVALIER DE LISLE.
À Ferney, 13 octobre.

Que je vous suis obligé, monsieur, de m’écrire du séjour de la gloire et du bonheur[3] ! Ces deux personnes sont rarement ensemble ; mais, quand on les trouve, il semble qu’il soit permis d’oublier tout le monde. Vous n’avez pourtant point oublié un pauvre vieux solitaire : nous vous remercions tendrement, Mme Denis et moi.

Grand merci de cette lettre d’un évêque de Picardie[4]. Ce pays--

  1. Un détachement russe s’étant présenté devant le poste de Rokavah avait été repoussé avec perte.
  2. Voyez tome XXII, page 91.
  3. De Chanteloup.
  4. De l’évêque d’Amiens (d’Orléans de La Motte) sur la bulle de destruction des jésuites ; il y blâme hautement le pape. (K.)