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CORRESPONDANCE.

laissé passer l’occasion de lui écrire. Je dois d’ailleurs ignorer la chose, et ne point me mêler de ce que des gens de lettres ont bien voulu faire pour moi, tandis que des gens d’église me persécutent un peu. Et puis il faut vous dire que je suis découragé, affligé, malade, vieux comme un chemin, que je crains les nouvelles connaissances, les nouveaux engagements, et les nouveaux fardeaux.

Pardonnez-moi ; il y a des temps dans la vie où l’on ne peut rien faire, des temps morts ; et je me trouve dans cette situation. Vous me demanderez pourquoi j’écris des fariboles à mon successeur l’historiographe, et que je ne puis écrire des choses raisonnables à M. le due d’Albe : c’est précisément parce que ce sont des fariboles ; on retombe si aisément dans son caractère ! Mais je me sens bien plus à mon aise quand je vous écris, parce que c’est mon cœur qui vous parle. Je suis bien consolé par ce que vous me dites de Mme d’Argental si elle se porte bien, elle est heureuse ; il ne lui manquait que cela.

Mme Denis et moi, nous lui en marquons toute notre joie. Vous savez à quel point nous vous sommes attachés.

Adieu, mon cher ange ; je vous aimerai jusqu’à ce que mon corps soit rendu aux quatre éléments, et l’âme à rien du tout, ou peu de chose.

Pour répondre à tout, je vous dirai que le Taureau blanc est entre les mains de M. de Lisle, et qu’il faut le faire transcrire.

8942. — DE CATHERINE II[1].
impératrice de russie
Ce 15-26 septembre 1773.

Monsieur, je m’en vais satisfaire aux demandes que vous ne m’avez point faites, mais que vous m’indiquez par votre lettre du 10 auguste ; je répondrai aussi à celle du 12 de ce mois, que j’ai reçue en même temps. Cela vous annonce une dépêche longue à faire bailler, peut-être en réponse à vos charmantes, mais très-courtes lettres ; jetez la mienne au feu si vous voulez, mais souvenez-vous que l’ennui est de mon métier, puisqu’ordinairement il est à la suite des rois. Pour le raccourcir, j’entre en matière.

M. de Roumiantsof, au lieu d’établir ses foyers dans l’Atmeidan de Stamboul, selon vos souhaits, a jugé à propos de rebrousser chemin, parce que, dit-il, il n’a pas trouve de quoi dîner aux environs de Silistrie, et que la

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances, etc., publiée par la Société impériale de l’histoire de Russie, tome XV, page 357.