Si le vieux malade de Ferney pouvait avoir un rayon de santé, il ne répondrait pas aux vers flatteurs de M. Soufflot[2] en simple prose ; s’il pouvait sortir, il irait aux Délices rendre ses devoirs à M.et à Mme Tronchin, et à M. Soufflot ; s’il s’avisait jamais de vivre l’âge de M. Jean Causeur[3], il prierait alors M. Soufflot ou Mme Tronchin de vouloir bien lui faire son épitaphe.
Le vieux malade de Ferney vous remercie, monsieur, avec la plus grande sensibilité. Il ressemble à ces vieux chevaliers qui ne pouvaient plus combattre en champ clos ; ils étaient exoines[5], comme dit la chronique, et un jeune chevalier plein de courage prenait leur défense.
Je n’aurais jamais si bien combattu que vous, monsieur ; je rends grâce à ma vieillesse, qui m’a valu un si brave champion. Vous êtes entré dans la lice accompagné des Grâces. Le bon roi René dit que, quand « li preux chevalier se desmene si gentiment, il rengrege l’amitié de sa dame ». Je ne doute pas que
- ↑ Éditeurs, de Cayrol et François.
- ↑ Soufflot, intendant des bâtiments du roi, architecte du Panthéon, étant
venu voir le conseiller Tronchin aux Délices, y coucha dans le lit qu’avait occupé Voltaire. Il fit à cette occasion les vers suivants :
Dans ton lit, en rêvant, je me suis cru poète,
J’ai cru sentir du ciel l’influence secrète ;
Mais, prêt à te chanter, s’éveillant en sursaut,
Le pauvre chantre est tombé de son haut.
De rien faire éveillé j’ai perdu l’espérance ;
Et cependant en vers contre toute apparence,
Mon cœur m’a dicté ce souhait
Pour mettre au bas de ton portrait :
Il parut, nouvel astre, au siècle du génie,
Il éclaira celui de la philosophie ;
Parques, filez pour lui les jours de Jean Causeur ;
À trois siècles, pour vous, il aura fait honneur. - ↑ Boucher aux environs de Brest, âgé de plus de cent ans. (A. F.)
- ↑ Sur sa fable intitulée le Cygne et les Hiboux, qui n’est qu’une allusion à M. de Voltaire et à ses ennemis. (K.)
- ↑ C’est un terme du palais.