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CORRESPONDANCE.

8911. — À M. LE CONSEILLER TRONCHIN[1].
Ferney, 16 auguste.

Si le vieux malade de Ferney pouvait avoir un rayon de santé, il ne répondrait pas aux vers flatteurs de M. Soufflot[2] en simple prose ; s’il pouvait sortir, il irait aux Délices rendre ses devoirs à M.et à Mme Tronchin, et à M. Soufflot ; s’il s’avisait jamais de vivre l’âge de M. Jean Causeur[3], il prierait alors M. Soufflot ou Mme Tronchin de vouloir bien lui faire son épitaphe.


8912. — À M. VILLEMAIN D’ABANCOURT[4].
19 auguste.

Le vieux malade de Ferney vous remercie, monsieur, avec la plus grande sensibilité. Il ressemble à ces vieux chevaliers qui ne pouvaient plus combattre en champ clos ; ils étaient exoines[5], comme dit la chronique, et un jeune chevalier plein de courage prenait leur défense.

Je n’aurais jamais si bien combattu que vous, monsieur ; je rends grâce à ma vieillesse, qui m’a valu un si brave champion. Vous êtes entré dans la lice accompagné des Grâces. Le bon roi René dit que, quand « li preux chevalier se desmene si gentiment, il rengrege l’amitié de sa dame ». Je ne doute pas que

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Soufflot, intendant des bâtiments du roi, architecte du Panthéon, étant venu voir le conseiller Tronchin aux Délices, y coucha dans le lit qu’avait occupé Voltaire. Il fit à cette occasion les vers suivants :

    Dans ton lit, en rêvant, je me suis cru poète,
    J’ai cru sentir du ciel l’influence secrète ;
    Mais, prêt à te chanter, s’éveillant en sursaut,
    Le pauvre chantre est tombé de son haut.
    De rien faire éveillé j’ai perdu l’espérance ;
    Et cependant en vers contre toute apparence,
    Mon cœur m’a dicté ce souhait
    Pour mettre au bas de ton portrait :
    Il parut, nouvel astre, au siècle du génie,
    Il éclaira celui de la philosophie ;
    Parques, filez pour lui les jours de Jean Causeur ;
    À trois siècles, pour vous, il aura fait honneur.

  3. Boucher aux environs de Brest, âgé de plus de cent ans. (A. F.)
  4. Sur sa fable intitulée le Cygne et les Hiboux, qui n’est qu’une allusion à M. de Voltaire et à ses ennemis. (K.)
  5. C’est un terme du palais.