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année 1772.

je vous fais, c’est qu’il n’est pas sûr que vous le receviez. M. d’Ogny, qui a des bontés infinies pour ma colonie, et qui veut bien faire passer jusqu’à Constantinople et à Maroc les travaux de nos manufactures, m’a mandé qu’il ne voulait pas se charger d’une seule brochure pour Paris.

Mon village de Ferney envoie tous les ans pour cinq cent mille francs de marchandises au bout du monde, et ne peut pas envoyer une pensée à Paris. Le commerce des idées est de contrebande.

Je ne peux donc pas vous répondre, madame, que mes idées vous parviennent. Cependant c’est un ouvrage dans lequel il n’y a rien que de vrai et d’honnête. Le plus rude commis à la douane de l’entendement humain ne pourrait y trouver à redire.

Je ne sais si nous ne devons pas cette rigueur qu’on exerce aujourd’hui contre tous les livres à messieurs les athées. Ils ont fort mal fait, à mon avis, de faire imprimer tant de sermons contre Dieu ; cette espèce de philosophie ne peut faire aucun bien, et peut faire beaucoup de mal. Notre terre est un temple de la Divinité. J’estime fort tous ceux qui veulent nettoyer ce temple de toutes les abominables ordures dont il est infecté ; mais je n’aime pas qu’on veuille renverser le temple de fond en comble.

Je languis au milieu des souffrances continuelles, dans un petit coin de ce temple, et j’attends chaque jour le moment d’en sortir pour jamais. Vous n’avez perdu qu’un de vos sens, et je perds mes cinq.

Je n’ai pu faire ma cour ni à Mme de Brionne ni à Mme la princesse de Craon, sa fille, quoiqu’elles soient toutes deux philosophes ; Mme la duchesse de V… l’est aussi. Une centaine d’êtres pensants de la première volée sont venus dans nos cantons. On prétend que tous les dieux se réfugièrent autrefois en Égypte ; ils se sont donné cette fois-ci rendez-vous en Suisse.

Si vous aviez pu y venir, j’aurais été consolé. Je fais mille vœux pour vous, madame ; mais à quoi servent-ils ? Je vous suis attaché tendrement et inutilement. Nous sommes tous condamnés aux privations, suivies de la mort. Je l’attends sur mon fumier du mont Jura, et je vous souhaite du moins de la santé dans votre Saint-Joseph.

Adieu, madame ; contre nature bon cœur.