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CORRESPONDANCE.

Je vous réitère que vous pourriez faire l’acquisition de trois acteurs que sûrement l’envie de vous plaire rendrait excellents, et peut-être un jour supérieurs à Lekain. Je suis consolé dans mes souffrances continuelles par l’espérance que vous avez bien voulu me donner de prendre sous votre protection Sophonisbe et les Lois de Minos. Je me console surtout par l’idée d’aller vous faire ma cour à Bordeaux, si vous y faites un voyage, et si je ne fais pas celui de l’autre monde.

8910. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
Ferney, 13 auguste.

J’ai peur, madame, que vous ne vous intéressiez pas plus à nos Indiens qu’à la plupart de nos Welches. Vous m’avez mandé que vous aviez jeté votre bonnet par-dessus les moulins, mais il ne sera pas arrivé jusqu’à l’Inde. Pour moi, je vous l’avoue, je considère avec quelque curiosité un peuple à qui nous devons nos chiffres, notre tritrac, nos échecs, nos premiers principes de géométrie, et des fables qui sont devenues les nôtres : car celle sur laquelle Milton a bâti son singulier poëme[1] est tirée d’un ancien livre indien, écrit il y a près de cinq mille ans.

Vous sentez combien cela élargit notre sphère. Il me semble que, quand on rampe dans un petit coin de notre Occident, et quand on n’a que deux jours à vivre, c’est une consolation de laisser promener ses idées dans l’antiquité, et à six mille lieues de son trou.

Cependant il se pourra très-bien que la description des pays où le colonel Clive a pénétré plus loin qu’Alexandre ne vous amusera pas infiniment. Ce qui était si essentiel pour notre défunte compagnie des Indes sera peut-être pour vous très-insipide. En tout cas, il ne tient qu’à vous de ne pas vous faire lire le commencement de cet ouvrage, et d’aller tout d’un coup aux aventures de ce pauvre Lally, à son procès criminel, à son arrêt et à son bâillon.

Nous donnons de temps en temps à l’Europe de ces spectacles affreux qui nous feraient passer pour la nation la plus sauvage et la plus barbare, si d’ailleurs nous n’avions pas tant de droits à la réputation de l’espèce la plus frivole et la plus comique.

J’ai un petit avertissement à vous donner sur cet envoi que

  1. Voyez tome X, à la suite de la Henriade, le chapitre ix de l’Essai sur la Poésie épique.