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CORRESPONDANCE.

Cyrus ? Hélas ! l’idée de cette croisade ne réussira pas mieux que celle de mes chars ; vous ferez la paix, madame, après avoir bien battu les Turcs ; vous aurez quelques avantages de plus, mais les Turcs continueront d’enfermer les femmes, et d’être les amis des Welches, tout galants que sont ces Welches.

Je ne suis donc qu’à moitié satisfait.

Mais ce n’est pas à moitié que je suis l’adorateur de Votre Majesté impériale, c’est avec la fureur de l’enthousiasme ; qu’elle pardonne ma rage à mon profond respect.

Le vieux Malade de Ferney.
8908. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Potsdam, 12 août[1].

Puisque les trinités sont si fort à la mode[2], je vous citerai trois raisons qui m’ont empêché de vous répondre plus tôt : mon voyage en Prusse, l’usage des eaux minérales, et l’arrivée de ma nièce la princesse d’Orange[3].

Je n’en prends pas moins de part à votre convalescence, et j’aime mieux que vous me rendiez compte en beaux vers de ce qui se passe sur les bords de l’Acheron, que si vous aviez fixé votre séjour dans cette contrée d’où personne encore n’est revenu.

Le vieux baron[4] a été de toutes nos fêtes, et il ne paraissait pas qu’il eût quatre-vingt-six ans. Si le vieux baron s’est échappé de la fatale barque faute de payer le passage, vous avez, à l’exemple d’Orphée, adouci par les doux accords de votre lyre la barbare dureté des commis de l’enfer ; et en tout sens vous devez votre immortalité aux talents enchanteurs que vous possédez.

Vous avez non seulement fait rougir votre nation du cruel arrêt porté contre le chevalier de La Barre, et exécuté ; vous protégez encore les malheureux qui ont été englobés dans la même condamnation. Je vous avouerai que le nom même de ce Morival dont vous me parlez est inconnu. Je m’informerai de sa conduite ; s’il a du mérite, votre recommandation ne lui sera pas inutile.

Je vois que le public se complaît à exagérer les événements. Thorn ne se trouve point dans la partie qui m’est échue de la Pologne. Je ne vengerai point le massacre des innocents, dont les prêtres de cette ville ont à rougir ; mais j’érigerai dans une petite ville de la Warmie un monument sur le

  1. Le 7 août 1773. (Œuvres posthumes.)
  2. Voyez lettre 8820.
  3. Guillaume V, prince d’Orange, né en 1718, mort en 1806, avait épousé, en 1767, Frédérique-Sophie Wilhelmine, née en 1751 d’Auguste-Guillaume, frère de Frédéric.
  4. Pollnitz ; voyez lettre 8800, et aussi la lettre de Frédéric du 13 auguste 1775.