par quelque conte moral où vous mêlez l’utile dulci[1], je vous prie instamment de répondre le plus tôt que vous pourrez à ma requête ; la voici :
Vous savez qu’un Père de l’Église, nommé l’abbé Sabatier, nous accuse, vous, M. d’Alembert, M. Thomas et moi, e tutti quanti, d’être un peu hérétiques, ou du moins tombés dans des erreurs qui sentent l’hérésie. Des gens de bien se sont laissé séduire par cette horrible accusation. L’intérêt de la religion exige qu’on démasque nos ennemis, qui sont hérétiques eux-mêmes.
J’ai entre les mains le système de Spinosa[2], éclairci et commenté par M. l’abbé Sabatier, écrit tout entier de sa main, et signé Bathesabit, ce qui est à peu près l’anagramme de son nom. Vous avez plusieurs de ses lettres ; je vous prie de me les envoyer ; oportet cognosci malos. Confiez ce petit paquet à M. Marin, qui me le fera tenir sur-le-champ.
Mes occupations et mes souffrances ne me permettent pas de vous en dire davantage ; je me borne à vous assurer que je serai toujours fidèle à la bonne cause autant qu’à votre amitié.
J’ai toujours aimé M. de La Condamine. Je vous prie, monsieur l’abbé, de l’en assurer, et de le remercier de son Catéchismes[4]. Vous pouvez aussi, monsieur, le bien assurer que je suis très-fâché de savoir qu’il loge chez lui La Beaumelle, et qu’il donne à dîner à Fréron. Il y a de meilleures bonnes œuvres à faire. Ses vers ne sont pas d’un grand poëte : il n’en a jamais fait que pour s’amuser ; mais ses sentiments sont ceux d’un honnête homme. Je l’ai toujours connu pour être de la communion des gens de bien. Je n’aime ni La Beaumelle, ni Fréron, qui m’a affligé quelquefois, et qui souvent m’a fait rire. Mais je crois, monsieur, avec vous et votre ami M. de La Condamine, qu’il existe un Dieu rémunérateur et punisseur, et qui, s’il se mêle des chenilles de nos vergers, rendra à mes ennemis selon leurs œuvres.