Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome48.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
395
année 1772.

À propos de lois, madame, je ne suis point surpris de la sentence portée contre M. de Morangiés ; j’ai toujours dit qu’ayant eu l’imprudence de faire des billets, il serait obligé de les payer, quoiqu’il soit évident qu’il n’en ait jamais touché l’argent.

J’ai toujours dit encore que les faux témoins qui ont déposé contre lui, ayant eu le temps de se concerter et de s’affermir dans leurs iniquités, triompheraient de l’innocence imprudente. Voilà une affaire bien singulière et bien malheureuse. Elle doit apprendre à toute la noblesse de France à n’avoir jamais affaire avec les usuriers, et à ne jamais connaître Mme de la Ressource : mais on ne corrigera point nos officiers du bel air. J’ai peur qu’il ne soit difficile de faire modérer la sentence par le parlement, et impossible d’en changer le fond, à moins que quelqu’un des fripons qui ont gagné leur procès ne meure incessamment, et ne demande pardon à Dieu et à la justice de ses manœuvres criminelles. Toute cette aventure sera longtemps un grand problème. Il ne faut compter dans ce monde que sur votre belle âme et sur votre amitié courageuse ; mais daignez compter aussi, madame, sur la très-tendre et très-respectueuse reconnaissance de ce pauvre malade du mont Jura.

8864. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
5 juin.

Je n’ai jamais, mon cher ange, rien entendu aux affaires de ce monde. Le maître des jeux[1] m’écrit de son côté, et dit que le grand acteur en a menti, et qu’il y est fort sujet. D’un autre côté, je recevais plusieurs lettres qui m’affligeaient infiniment ; elles me peignaient, comme mon ennemi déclaré, un homme à qui je suis attaché depuis cinquante ans, et à qui je venais de donner des marques publiques[2] d’une estime et d’une vénération qu’on me reprochait. À toutes ces tracasseries se joignait la détestable édition de mon ami Valade, et la petite humiliation qui résulte toujours d’avoir affaire à mon ami Fréron.

Je ne sais pas trop quel est le goût de la cour, je ne sais pas même s’il y a un goût en France. J’ignore ce qui convient, et ce qui ne convient pas ; mais je sais très-certainement que j’avais écrit au

  1. Richelieu.
  2. C’est à Richelieu que Voltaire venait de dédier les Lois de Minos.