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CORRESPONDANCE.

trois mois égal à Lekain en bien des choses, et très-supérieur à lui par le don de faire répandre des larmes. Je m’y connais, je suis du métier. J’ai joué Cicéron et Lusignan avec un prodigieux succès ; mais ce n’était pas le Cicéron du barbare Crébillon.

J’envoie Patrat à l’impératrice de Russie, avec un autre comédien assez bon[1], dont on n’a point voulu à Paris. Je suis fâché que le Nord l’emporte sur le Midi en tant de choses.

Quand je songe à cette lettre prolixe dont j’importune mon héros, je suis tout honteux. Cependant je le conjure de la lire tout entière, et de conserver ses bontés à son vieux courtisan, tout ennuyeux qu’il peut être.

Certainement il lui sera attaché jusqu’au dernier moment de sa vie avec le respect le plus tendre.

8863. — À MADAME DE SAINT-JULIEN.
À Ferney. 4 juin.

La protectrice réussit à tout ce qu’elle entreprend, et ses entreprises sont toujours de faire du bien. Je me jette à ses pieds, et je les baise avec mes lèvres de quatre-vingts ans, en la priant seulement de détourner les yeux.

Mon doyen de l’Académie, qui est fort mon cadet, a eu la bonté de m’écrire une lettre très-consolante. Je lui écris aujourd’hui sur nos histrions qui sont à ses ordres, et je le supplie, comme je l’ai toujours supplié, et comme il me l’a toujours promis, de faire jouer, sur la fin de son année, les Lois de Minos, d’un jeune auteur, et la Sophonisbe de Mairet, qui est mort il y a environ cent trente ans ; le tout sans préjudice des autres faveurs qu’il peut me faire, et sur lesquelles vous avez insisté avec votre générosité ordinaire.

J’aurais bien voulu vous envoyer des Lois de Minos pour vos amis, et surtout pour monsieur votre frère[2] ; mais M. d’Ogny me mande qu’il ne peut plus se charger de paquets de livres. Il veut bien faire passer toutes les montres de ma colonie, dont il est le protecteur ; mais, pour la littérature, on dit qu’elle est aujourd’hui de contrebande, et que les commis à la douane des pensées n’en laissent entrer aucune. Je crois pourtant que si jamais vous rencontrez M. d’Ogny, vous pourriez lui demander grâce pour les Lois de Minos, et alors vous en auriez tant qu’il vous plairait.

  1. Aufresne.
  2. Commandant de la province de Bourgogne.