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année 1772.

sont deux pièces nouvelles ; toutes deux, et surtout les Lois de Minos, forment des spectacles où il y a beaucoup d’action. On dit que c’est ce qu’il faut aujourd’hui, car tout le monde a des yeux, et tout le monde n’a pas des oreilles.

Je vous réitère donc ma très-humble et très-instante prière de vouloir bien ordonner à nosseigneurs les acteurs de jouer ces deux pièces sur la fin de votre année. J’aurai le temps de les rendre moins indignes de vous, si je suis en vie.

Je quitte le cothurne pour vous parler de ma colonie. Vous qui gouvernez une grande province, vous sentez quelles peines a dû éprouver un homme obscur, sans pouvoir, sans crédit, avec une fortune assez médiocre, en établissant des manufactures qui demandaient un million d’avances pour être bien affermies. Il a fallu changer un misérable hameau en une espèce de ville florissante, bâtir des maisons, prêter de l’agent, faire venir les artistes les plus habiles, qui font les montres que les plus fameux horlogers de Paris vendent sous leur nom. Il a fallu leur procurer des correspondances dans les quatre parties du monde : je vous réponds que cela est plus difficile à faire que la tragédie des Lois de Minos, qui ne m’a pas coûté huit jours. Les plus petits objets, dans une telle entreprise, ne sont pas à négliger. Ma colonie était perdue, et expirait dans sa naissance, si M. le duc de Choiseul n’avait pas pris et payé, au nom du roi, plusieurs de nos ouvrages, et si l’impératrice de Russie n’en avait pas fait venir pour environ vingt mille écus.

Les deux montres que M. le duc de Duras voulut bien accepter pour le roi, au mariage de madame la dauphine, avaient un grand défaut. Un misérable peintre en émail, qui croyait avoir un portrait ressemblant de madame la dauphine, la peignit fort mal sur les boîtes de ces montres. Je n’ose vous proposer de les renvoyer. Si vous pouvez pousser vos bontés jusqu’à faire payer les sieurs Céret et Dufour de ces deux montres, je vous aurai beaucoup d’obligation ; ils sont les moins riches de la colonie. Daignez faire dire un mot à M. Hébert ; et un frère de Céret, qui est son correspondant à Paris, ira chercher l’argent.

Je vous demande bien pardon d’entrer dans de tels détails avec le vainqueur de Mahon et le défenseur de Gênes ; mais enfin mon héros daigne quelquefois s’amuser de bagatelles. On n’est pas toujours à la tête d’une armée ; il faut bien descendre quelquefois aux niaiseries de la vie civile.

À propos de niaiseries, souvenez-vous bien, je vous en prie, que je vous ai envoyé dans Patrat un acteur qui deviendrait en