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CORRESPONDANCE.

monde nous a donnée se perd comme la faculté mangeante, buvante, et digérante. Les marionnettes de la Providence infinie ne sont pas faites pour durer autant qu’elle.

De toutes ces marionnettes, la plus sensible à vos bontés, c’est moi. Je vous regarde comme un des êtres les plus privilégiés que l’ordre éternel et immuable des choses ait fait naître sur ce petit globe. Je suis très-fâché de ramper loin de vous sur un petit coin de terre où vous n’êtes plus ; je ne vois plus personne, je ferme surtout ma porte à tout étranger ; mais je compte que M. Moultou viendra ce soir dans mon ermitage, et que nous nous consolerons l’un l’autre en parlant longtemps de vous.

Je remercie M. Necker de son souvenir avec la plus tendre reconnaissance. Mme Denis me charge de vous dire à quel point elle vous est attachée.

Agréez le sincère respect, la véritable estime, et l’amitié du vieux malade de Ferney.

8822. — À M. MOULTOU[1].
25 avril 1773, à Ferney.

En vous remerciant, monsieur, du fond de mon cœur ; le vôtre doit être bien ulcéré[2].

  1. Éditeur. A. Coquerel.
  2. J.-P.-Fr. Rippert de Montclar, procureur général au parlement d’Aix, est fameux pour ses actes énergiques d’opposition à l’ultramontanisme. En 1768, ce fut lui qui prit possession au nom de Louis XV du Comtat-Venaissin, enlevé pour toujours au gouvernement des papes. Plus tard il se rendit célèbre par un plaidoyer contre les jésuites, qui contribua à leur expulsion. Enfin, il est l’auteur d’une de ces dissertations sur l’état civil des protestants qui préparèrent l’opinion à leur émancipation. (Mémoire théologique et politique au sujet des mariages clandestins des protestants de France, où l’on voit qu’il est de l’intérêt de l’Église et de l’État de faire cesser ces sortes de mariages en établissant pour les protestants une nouvelle forme de se marier qui ne blesse point leur conscience et qui n’intéresse point celle des évêques et des curés (Arundinem quassatam non confringet, etc. : 1755, in-8o, 141 pages). M. Charles Coquerel a donné une analyse de ce Mémoire dans son Histoire des Églises du désert (tome II, pages 216-223).

    Rippert de Montclar est une de ces énergiques figures, à la fois parlementaires, et gallicanes, qui demeurent la plus belle gloire de la magistrature française. Les protestants lui doivent de la reconnaissance, quoiqu’il n’ait pas demandé pour eux la liberté des assemblées religieuses comme Turgot. Nous croyons acquitter leur dette, au moins en partie, en publiant in extenso les pièces suivantes (voyez les lettres 8823, 8832, 8833). On y verra comment et par qui une rétractation entièrement controuvée lui fut prêtée après sa mort ; cette étrange défaillance attribuée à un esprit si consciencieux et si ferme a été considérée par des écrivains sérieux comme réelle ou au moins comme probable. Il est juste de rétablir les faits.

    Montclar était parent de Moultou. (Note du premier éditeur.)