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année 1772.

crifia[1] tant de jeunes écoliers en l’année 1724. Cette bonne femme de Bethléem ne s’attendait pas qu’un jour on ferait tant de sacrifices à elle et à son fils. Le sang humain a coulé pour eux mille fois plus que pour les dieux païens, et vous voyez que l’auteur des notes sur les Lois de Minos a bien raison ; mais rien n’est si dangereux chez les Welches que d’avoir raison.

Je veux espérer que le roi de Pologne finira son rôle comme Teucer le sien, et que le liberum veto, qui n’est que le cri de la guerre civile, sera aboli sous son règne. Je veux l’estimer assez pour croire qu’il est entièrement d’accord avec le protecteur de Julien. Je sais qu’il pense comme ces deux grands hommes ; comment pourrait-il être fâché contre ceux qui punissent ses assassins, et qui lui laissent un beau royaume, où il pourra être le maître ?

Je ne verrai pas les troubles qui semblent se préparer, ma santé est trop délabrée ; j’irai retrouver tout doucement Isaac d’Argens, et nous vous célébrerons tous deux sur le bord des trois rivières.

En attendant, je vous prie de me conserver vos bontés. Plaignez-moi surtout de mourir loin de Votre Majesté ; mais ma destinée l’a voulu ainsi.

8821. — À MADAME NECKER.
À Ferney, 23 avril.

La lettre, madame, dont vous m’honorez m’est assurément plus précieuse que tous les sacrements de mon Église catholique, apostolique et romaine. Je ne les ai point reçus cette fois-ci. On s’était trop moqué à Paris de cette petite facétie ; et le petit-fils de mon maçon, devenu mon évêque, ainsi qu’il se prétend le vôtre, avait trop crié contre ma dévotion. Il est vrai que je ne m’en porte guère mieux. Presque tout le monde a été malade dans nos cantons, vers l’entrée du printemps. Je n’avais point du tout mérité ma maladie. Les plaisanteries qui ont couru n’avaient, malheureusement pour moi, aucun fondement ; et je vous assure que je mourais le plus innocemment du monde.

Je m’arrange assez philosophiquement pour ce grand voyage dont tout le monde parle sans connaissance de cause. Comme on n’a point voyagé avant de naître, on ne voyage point quand on n’est plus. La faculté pensante que l’éternel Architecte du

  1. Voyez tomes XX, page 158 ; et XXVI, 462.