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année 1772.

Au reste, ce problème me paraît plus intéressant que cent mille billevesées mathématiques et cent mille discours pour les prix des académies.

Je ne connais point du tout, mon cher ami, ce M. de Boissy dont vous vous plaignez, ni ce M. l’abbé Savatier qui m’a tant dénigré[1]. Ma longue maladie, dont je ne suis pas encore guéri, ne m’a pas laissé le temps de lire leurs brochures. On dit que M. de La Harpe a fait une tragédie qui est le meilleur de tous ses ouvrages. Je le souhaite de tout mon cœur pour l’honneur des lettres et pour son avantage. C’est de tous nos jeunes gens celui qui fait le mieux des vers, qui écrit le mieux en prose, et qui a le goût le plus sûr.

Voudriez-vous bien avoir la bonté de lui faire remettre cette lettre ?

Le vieux malade de Ferney vous embrasse bien tendrement.

8810. — À M. D’ALEMBERT.
11 avril.

J’ai bien des choses à vous dire, mon cher et vrai philosophe. Je commencerai par les deux puissances. Figurez-vous que les évêques russes ne les connaissent pas, et qu’ils regardent cette opinion comme la plus grande des hérésies, tandis que chez vous autres la couronne elle-même reconnaît les deux puissances. À l’égard de la puissance de Catherine, je crois qu’elle boude Bertrand et Raton, car elle ne répond ni à l’un ni à l’autre sur la belle proposition qu’on lui avait faite d’exercer sa puissance bienfaisante. Il faut qu’elle nous ait pris tous deux pour deux Welches.

Je viens à votre grand grief. Vous ne connaissez pas ma situation. Vous ne savez pas que de bonnes âmes, dans le goût de Clément et de Savatier, ont fait imprimer sous mon nom deux gros diables de volumes[2] farcis de toutes les impiétés et de toutes les horreurs possibles ; que la chose peut aller très-loin, et qu’à mon âge il est dur d’être obligé de se justifier. Les scélérats ont mêlé leurs propres ordures à des choses indifférentes, qui sont en effet de moi ; et, par ce mélange assez adroit, ils font croire que tout m’appartient. Cette nouvelle façon de nuire est mise à

  1. Laus de Boissy, dans sa brochure contre Sabatier, demandait à celui-ci pourquoi il avait attaqué Voltaire et épargné Marin.
  2. Ceux dont il a parlé page 338.