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CORRESPONDANCE.

faire un acteur excellent, et de le rendre utile dans tous les genres.

Il m’est arrivé un petit accident, c’est que je me meurs, au pied de la lettre. On m’a fait baigner au milieu de l’hiver pour ma strangurie. Votre exemple m’encourageait ; mais il n’appartient pas à tout le monde d’oser vous imiter : mes deux fuseaux de jambes sont devenus gros comme des tonneaux. J’ajouterais au bel état où je suis la sottise de mourir de douleur, si on jouait les Lois de Minos telles que des gens de beaucoup d’esprit et de mérite les ont faites. Je ne veux point me parer des plumes du paon : je suis un pauvre geai qui s’est toujours contenté de son plumage. Les vers de ces messieurs peuvent être fort beaux, mais ils ne sont pas de moi, je n’en veux point. Leurs beautés entièrement déplacées dépareraient trop l’ouvrage.

En un mot, je vous demande en grâce qu’on ne joue pas cette indigne rapsodie, vendue par un comédien au libraire Valade. Ce libraire a la bêtise de dire qu’il ne l’a imprimée que sur la copie de Genève et de Lausanne, et vous remarquerez qu’elle n’a paru encore ni à Lausanne ni à Genève ; mais ce brigandage est comme tout le reste. Dieu ait pitié de ma chère patrie, qui avait autrefois une si belle réputation dans l’Europe ! Tout est bien changé, et vous ne faites que rire de cette décadence. Riez de la mienne, mais pleurez de celle de votre patrie. Votre vieux courtisan se recommande très-tristement à vos bontés.

8770. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 13 février.

Madame, ce qui m’a principalement étonné de vos deux comédies russes, c’est que le dialogue est toujours vrai et toujours naturel, ce qui est, à mon avis, un des premiers mérites dans l’art de la comédie ; mais un mérite bien rare, c’est de cultiver ainsi tous les arts, lorsque celui de la guerre occupait toute la nation. Je vois que les Russes ont bien de l’esprit, et du bon esprit ; Votre Majesté impériale n’était pas faite pour gouverner des sots : c’est ce qui m’a toujours fait penser que la nature l’avait destinée à régner sur la Grèce. J’en reviens toujours à mon premier roman ; vous finirez par là. Il arrivera que dans dix ans Moustapha se brouillera avec vous, il vous chicanera sur la Crimée, et vous lui prendrez Byzance. Vous voilà tout accoutumée