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CORRESPONDANCE.

est de ce nombre. Il faut d’abord vous dire que le jeune homme, auteur d’Astérie, n’ayant nulle expérience du monde, crut, sur la foi de nosseigneurs du tripot, qu’il serait exposé au sifflet immédiatement après le Fontainebleau. Ensuite on lui certifia qu’il serait jugé quinze jours après, sans faute. Le jeune étourdi, comptant sur cette parole, donna son factum à imprimer dans l’imprimerie de l’imprimeur Gabriel Cramer, dont il eut aussi parole que ce factum, accompagné de notes un peu chatouilleuses, ne paraîtrait qu’après la première séance des juges.

Vous saurez maintenant qu’il y a deux Grasset frères : l’un est dans l’imprimerie de l’imprimeur Cramer, l’autre est libraire à Lausanne. Ce Grasset de Lauzanne est, dit-on,


Pipeur, escroc, sycophante, menteur.
Sentant la hart de cent pas à la ronde.

(Marot, Épître au roi, pour avoir esté desrobé, v, 11.)


Il est associé avec le bourgmestre de Lausanne et deux ministres de la parole de Dieu : ce sont eux qui, en dernier lieu, ont fait une édition[1] des ouvrages du jeune homme, édition presque aussi mauvaise que celle de Cramer et de Panckouke ; mais enfin cela fait beaucoup d’honneur à l’auteur. Rien ne répond plus fortement au mais qu’une édition faite par deux prêtres. Or le Grasset de Genève a probablement envoyé à son frère de Lausanne les feuilles du mémoire du jeune avocat, feuilles incomplètes, feuilles auxquelles il manque des cartons absolument nécessaires, feuilles remplies de fautes grossières, selon la coutume de nos Allobroges. Je ne puis être présent partout, je ne puis remédier sur-le-champ à tout ; je passe ma vie dans mon lit ; j’y griffonne ; j’y dirige cent horlogers, dont les têtes sont quelquefois plus mal montées que leurs montres ; j’y donne mes ordres à mes vaches, à mes bœufs, à mes chevaux de toute espèce. Le prince et le marquis sont occupés des tracasseries continuelles de leur vaste république, et pendant ce temps-là on envoie des Minos tronqués à Paris.

Cela peut être, mais il se peut aussi que deux ou trois curieux aient vu un exemplaire de la première épreuve, que j’avais confié à M. le comte de Rochefort, lorsqu’il était à Ferney, au mois de

  1. L’édition des Œuvres de Voltaire dont il est ici question est intitulée Collection complète des Œuvres de M. de Voltaire. Il n’en paraissait alors que trente-six volumes, mais elle en a cinquante-sept ; les derniers sont de 1780.